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Hommages / 10.05.2020

Betty Wright, 1953-2020

Un message publié sur les réseaux sociaux il y a quelques jours par Chaka Khan avait alerté ses admirateurs sur l’état de santé précaire de Betty Wright. La triste nouvelle de son décès, annoncé par le magazine Essence ce jour, vient marquer la fin d’une carrière unique, débutée particulièrement tôt et jamais interrompue, d’une artiste qui, dès ses premières années, a refusé de se cantonner au simple rôle d’interprète, déployant ses talents également dans l’écriture et la production et défendant son indépendance en formant son propre label dès les années 1980.

Bessie Regina Norris nait le 21 décembre 1953 à Miami dans une famille particulièrement musicale – plusieurs de ses frères et sœurs mèneront d’ailleurs une carrière professionnelle dans ce domaine –, elle fait ses débuts encore enfants au sein du groupe de gospel familial, les Echoes of Joy, dont sa mère est la guitariste, avant de se faire remarquer, à peine adolescente, dans les concours de talents locaux. Dès cet âge, elle utilise le pseudonyme de Betty Wright (le nom de sa mère), et c’est sous ce nom qu’elle est signée par Deep City Records, le premier label afro-américain de la ville, fondé par Willie Clarke, Johnny Pearsall, Clarence Reid et Arnold Albury.

Sous le parrainage de Clarke et Reid, qui sont en train d’inventer la scène soul de Miami, elle publie ses deux premiers 45-tours qui connaissent un certain succès local, puis rejoint l’empire discographique d’Henry Stone, et en particulier son label Alston. C’est sous cette étiquette qu’elle décroche son premier tube alors qu’elle est à peine âgée de 15 ans avec Girls can’t do what the guys do, une autre composition – au message bien éloigné de ses prises de positions ultérieures – de Reid et Clarke. Cette réussite lui permet de publier son premier album, “My First Time Around”, qui paraît sous l’étiquette Atco, alors distributeur d’Alston.

© X/DR / Collection Gilles Pétard
Willie Clarke, Betty Wright, Clarence Reid, Steve Alaimo, Henry Stone. © X/DR

Dès cette époque, Wright ne se satisfait pas de sa condition d’interprète soumise aux désidératas de ses producteurs : l’album comprend deux de ses compositions, et c’est elle qui découvre le couple George et Gwen McRae, qu’elle fait signer par Henry Stone. Si certains de ses singles suivants se font remarquer dans le classement R&B, elle doit attendre la fin de 1971 pour décrocher un nouveau tube majeur, le plus important de sa carrière, avec l’irrésistible Clean up woman, qui lui permet d’obtenir, quelques jours à peine après son dix-huitième anniversaire, son premier disque d’or.

Sans atteindre le même niveau de succès, les 45-tours suivants, parfois écrits par ses soins (Baby sitter) sont bien accueillis, et Wright enchaîne les classiques : Where is the love, qui lui permet d’obtenir son unique Grammy, Shoorah! Shoorah!, Tonight Is the night… Ce dernier titre lui permet de décrocher un double succès : dans sa version originale en 1974 puis enregistrée en public, avec un mémorable monologue, quatre ans plus tard ! Sa popularité lui permet de tourner largement, y compris en Europe, et un album live vient documenter son show. Parallèlement à sa carrière personnelle, elle développe également son rôle de productrice et d’autrice, pour elle-même mais aussi pour les autres, travaillant notamment pour Vicki Anderson, Gwen McRae, KC & the Sunshine Band, Timmy Thomas et Little Beaver. 

https://youtu.be/4nK6YJH1kmk
https://youtu.be/3LbomLQ5EMM
© X/DR / Collection Gilles Pétard
New Orleans, mai 2000. © Jacques Périn

A la fin de la décennie, elle quitte l’empire alors fragilisé d’Henry Stone pour rejoindre Epic au début des années 1980. Si le succès se fait alors moindre, elle continue à enregistrer régulièrement, et lance même à la fin de la décennie son propre label, Ms.B Records, sur lequel paraîtront désormais la totalité de ses disques personnels. C’est d’ailleurs sous cette étiquette qu’elle s’offre une forme de come-back en 1988 avec le succès, côté R&B, de No pain, no gain. Considérée comme un modèle par nombre de chanteuses venues après elle, sa musique est régulièrement samplée – Beyoncé, Chance the Rapper, Mary J Blige, IAM… Elle ne manque d’ailleurs pas de se plaindre d’“emprunts” qu’elle considère comme abusifs, comme le I wanna sex you up de Color Me Badd, très inspiré de son Tonight is the night

https://youtu.be/ryM4ZK1OyYo

Si elle continue à enregistrer régulièrement sous son nom jusqu’au milieu des années 1990, et plus ponctuellement ensuite, et multiplie les apparitions sur les disques d’autres artistes – Roy Ayers, Angie Stone, Lil Wayne, DJ Khaled… –, c’est en tant que productrice qu’elle se fait particulièrement remarquer dans les années 2000, travaillant notamment pour Jennifer Lopez, Tom Jones et, surtout, pour Joss Stone, au succès de qui elle est largement associée. Dix ans après son dernier disque, elle s’offre un retour spectaculaire avec un album très réussi enregistré avec les Roots, “Betty Wright: The Movie”, que Soul Bag salue d’un évident Pied. Jusqu’à l’été 2019, elle se produit avec une certaine régularité sur les scènes européennes – Pays-Bas, Finlande, Angleterre, Belgique l’accueillent notamment, mais pas la France, faute d’imagination des programmateurs de festivals –, et continue à porter haut les couleurs d’un son de Miami qu’elle a largement contribué à façonner et qu’elle incarnait parfaitement, malgré le passage des modes et des époques.

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture : © Diana Levine

© Diana Levine
Betty WrightFrédéric AdrianGilles Pétard