Porretta Soul Festival 2025
21.08.2025
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Calais, 25 et 26 avril 2025.
En bientôt 20 ans d’existence, et avec quelques changements d’organisation en cours de route, le Beautiful Swamp Festival a trouvé sa formule : une riche programmation “off” dans différents lieux de la ville pendant près de trois semaines, encadrée par quatre soirées “in” : un concert d’ouverture – avec Johnny Sansone et Hot Chickens cette année – et un week-end prolongé avec trois groupes par soir, le tout avec une tarification très accessible (14 € par soir pour les soirées payantes), des prix démocratiques pour les consommations et la restauration et une ambiance conviviale largement portée par une équipe de bénévoles aussi efficaces que souriants.
C’est pour deuxième soirée du week-end final que je découvre le festival. Si les têtes d’affiches sont toutes américaines, l’ouverture des festivités ainsi que les interplateaux ont été confiés à un duo venu du deep south – Perpignan ! –, les Blues2Men, avec Christophe “Zeb” Vialle-Moudat aux guitares et au chant et Richie Faret (sur scène la veille avec Cisco Herzaft) à l’harmonica. Si le duo ne se prend pas au sérieux, leur musique, entre standards rafraîchis et originaux accrocheurs n’est pas là pour faire du remplissage, et chacun de leurs sets – trois par soirs – est réjouissant.
La première vedette de la soirée est le guitariste originaire de Détroit Doug Deming, accompagné de ses Jewel Tones (Andrew Gohman à la basse et Sam Farmer à la batterie). Si son nom m’est familier – il tourne semi-régulièrement par chez nous –, j’avoue que je n’avais pas prêté attention à sa musique, bien qu’il soit actif depuis au moins la fin des années 1990 et que son dernier album “Groovin’ At Groove Now! Live In Basel” ait été bien accueilli dans les colonnes de Soul Bag. Son set fait donc l’effet d’une révélation : fermement ancré dans le blues classique des années 1950, entre jump blues et T-Bone Walker avec une petite touche de swamp blues, aidé par deux partenaires totalement en osmose, il propose une heure de show sans temps faible, mêlant reprises de goût – The same thing could happen to you de Lazy Lester, Bloodshot eyes de Wynonie Harris, Is you is or is you ain’t my baby de Louis Jordan – et originaux bien écrits et bien tournés, à la fois dans l’esprit et avec une écriture personnelle, à l’image de Momma didn’t raise no fool et de No sense. Seul titre lent de la soirée, It’s no crime salue avec justesse l’héritage de T-Bone Walker. Un rappel mérité est demandé et obtenu.
Après la sobriété du jeu de scène de Deming, changement de registre avec l’arrivée de SaRon Crenshaw, accompagné comme à son habitude par son orchestre français, Fabrice Bessouat à la batterie, Igor Pichon à la basse et Cédric Le Goff à l’orgue – un vrai Hammond, pour la peine ! Habitué du chitlin’ circuit, Crenshaw en maîtrise tous les trucs : dès le deuxième morceau, une version du Put the shoe on the other foot d’Albert Collins, il est déjà descendu de scène et c’est depuis le public qu’il chante et joue. Bien que sa discographie reste limitée, Crenshaw ne manque pas d’atouts : une présence évidente, une voix soul expressive et un jeu de guitare tranchant, entre Albert King et Albert Collins. À défaut de réel répertoire personnel, même s’il chante quelques morceaux à lui, il pêche largement dans les grands classiques blues et soul : un Tin Pan Alley à la façon d’Albert King, Let’s straighten it out et, en rappel, Wand dang doodle. Doté d’évidentes facilités, en particulier à la guitare, il en use et en abuse jusqu’à l’excès, au fil de longs solos qui l’éloignent parfois de la chanson d’origine. L’ensemble est distrayant, mais manque un peu de profondeur et s’oublie rapidement.
Aki Kumar le reconnaît volontiers, cela fait un certain temps qu’il n’a pas joué avec Rockin’ Johnny Burgin… et cela s’entend ! Malgré la présence du vétéran June Core à la batterie, l’alliance (avec Philippe Dandrimont à la basse également) ne fonctionne pas comme elle avait pu le faire antérieurement, et c’est plus une accumulation d’individualité qu’un groupe cohérent qui se donne à entendre. Il y a quelques bons moments – la réinvention blues du Should I stay or should I go des Clash, un passage de ce que Kumar présente comme du « Bollywood blues », certains solos bien sortis de Burgin, qui salue également l’influence du très oublié L.V. Banks en reprenant son Teddy bear – mais l’ensemble ne décolle pas vraiment, et la salle se vide progressivement…
Même organisation le lendemain, pour une soirée complète à l’avance et qui commence à nouveau avec les infatigables Blues2Men. Le premier artiste à se présenter sur scène est le pianiste et chanteur Shrimp City Slim, venu de Caroline du Sud et visiteur régulier des scènes françaises. Pas facile de se produire seul au piano – surtout sans vrai piano ! – mais Slim, qui raconte être venu pour la première fois en Europe en 1987 avec le légendaire Big Boy Henry, a du métier et du bagout, et il sait entraîner le public dans son univers, grâce à ses chansons originales comme l’irrésistible Qu’est-ce que c’est – et à des apartés savoureux. Et quand il chante son propre Buy my music while I’m still alive, le message est clair – il arpentera d’ailleurs les allées de la salle après son show, ses CD à la main, avec des résultats concluants. Quelques reprises bien tournées viennent ponctuer le set (Kansas City, un medley Something you got/Walking to New Orleans…) ainsi qu’une apparition au frottoir de Dominique Floch, grand activiste local du blues. L’ensemble aurait sans doute gagné à être un peu plus court, mais constitue une excellente entrée en matière, dans un registre qui n’est pas si courant dans les festivals.
Changement d’ambiance avec Koko-Jean & The Tonics, le dernier projet en date de la chanteuse découverte avec les Excitements. Ce sont les trois Tonics – Victor Puertas à l’orgue, Alberto Noel à la guitare et Marc Benaiges à la batterie – qui ouvrent seuls le show avec une version essentiellement instrumentale de Wade in the water, avant que Davis les rejoigne. Le répertoire puise essentiellement dans celui du récent album du groupe, “Love Child”, avec Down on my knees et la chanson-titre (qui n’est pas celle du même nom des Supremes) entrecoupés par une lecture à la James Brown du classique For you my love. Après la jolie ballade Never ever, Davis quitte la scène pendant que ses musiciens se lancent dans une version quasi instrumentale enlevée de You can’t sit down. La pause est évidemment prétexte à un changement de costume et c’est dans une robe spectaculaire que Davis revient sur scène avec le programmatique Gonna be a party tonight. Le moins qu’on puisse dire c’est que le show ne recherche pas spécialement la subtilité : l’objectif est de faire bouger le public qui, cela tombe bien, ne demande que ça. Même si le répertoire est un peu bateau, bien qu’il soit essentiellement celui du groupe, l’abattage de la chanteuse et de ses accompagnateurs suffit à le transcender, d’autant que le concert est particulièrement bien structuré, avec la ballade I can’t stand you – prétexte à une citation de Ne me quitte pas – au cœur des titres rapides.
Très attendu, Eli Paperboy Reed ne cherche pas non plus spécialement la subtilité. Accompagné de musiciens espagnols (dont une section de cuivres) et du batteur Noah Rubin qui a joué sur plusieurs de ses albums, il fête à l’occasion de cette tournée ses 20 ans de carrière et en profite pour proposer un best of virtuel qui puise dans ses différents albums, du premier, “Sings Walkin’ And Talkin’ And Other Smash Hits!”, sorti en 2005, au plus récent, “Down Every Road”, paru en 2022. Les tubes sont là – Come and get it, de l’album du même nom qui l’avait fait découvrir en Europe à la fin des années 2000, Stake your claim, Young girl, IDKWYCTD (I came to play)… – dans des versions énergiques fidèles aux originaux. Si, avec les années, Reed n’a plus tout à fait la silhouette juvénile de ses débuts, il n’a rien perdu de son enthousiasme communicatif et sa voix déclamatoire reste toujours aussi puissante. Au premier rang, Koko-Jean Davis ambiance la piste de danse, mais toute la salle ou presque bouge au rythme des chansons de Reed, offrant aux festivités du week-end un final à la hauteur… Il faudra faire fort l’année prochaine pour les 20 ans !
Texte : Frédéric Adrian
Photos © J-M Rock’n’Blues
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