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Live reports / 13.11.2018

Bay-Car Blues Festival

Après une semaine d'événements à Grande-Synthe et dans le Dunkerquois (expo, résidence d'artistes, conférence, chapelles blues, concerts off), le public se presse dès avant l'ouverture des portes du Palais du Littoral, car, même si la capacité de la salle a été augmentée (600 places), il s'agit de prendre ses marques autour des petites tables rondes entourées de chaises, comme dans un club.

Toujours informatif, l'indispensable Eric Matelski place la soirée sous le patronage des grands disparus de l'année, Lazy Lester, Eddy Clearwater, Tony Joe White, Otis Rush, mais aussi des figures familières comme Claude Dannic, avant de nous inviter à faire du bruit pour les Blues Eaters. Lauréat du prix Cognac Blues Passion 2010, le groupe fait honneur à la scène nordiste avec un répertoire original, une mise en place impeccable, une large palette. Le leader-chanteur, Norman Rosaia est un bon guitariste dans la veine West Coast-T-Bone, capable encore de progresser à l'harmonica. Jonathan Nosalik, l'autre guitariste, se révèle très inspiré, avec un penchant non coupable pour le jazz, rejoint en cela par le batteur Sébastien Courti. Ils concluent avec une compo mêlant influences New Orleans et Caraïbes.

 


Blues Eaters

 


Jonathan Nosalik

 


Norman Rosaia

 

 

Muddy Gurdy déboule avec son projet aussi gonflé que risqué (voir SB 231), celui qui confronte le trio hexagonal Hypnotic Wheels (guitare-percus-vielle à roue) à d'authentiques piliers du North Hill Mississippi blues. Une greffe qui a donné naissance à un bien bel album, mais dont on se demande comment il se prolongera sur scène. Même réduit à sa plus simple expression, celle du trio, le concept fonctionne entre la guitare lancinante de Tia Gouttebel, les percussions épurées de Marc Glomeau et la vielle de Gilles Chabenat, qui fait autant office de basse bourdonnante que d'orgue. Tia rend de beaux hommages à Jessie Mae Hemphill (She Wolf) ou B.B. King (Help the poor). La tension monte encore lorsqu'arrive dans la salle Sharde Thomas, s'accompagnant au djembé. Dépositaire de la tradition du “fife and drums”, la petite-fille d'Othar Turner possède aussi une jolie voix fraiche. La suite de leur prestation, très appréciée, sera rehaussée par une belle version de Down in Mississippi.

 


Tia Gouttebel

 


Marc Glomeau

 


Sharde Thomas

 

Plus discutable et discutée sera le passage du Norman Jackson Band dont on a du mal à comprendre comment il a pu terminer troisième de l'International Blues Challenge à Memphis. Il s'agit en fait d'un trio que l'on imagine vétéran des juke joints de leur Missouri d'origine. Pas des talents oubliés, mais d'honnêtes tâcherons faisant de leur mieux pour s'imposer dans le chitlin' circuit. De là à écumer les scènes internationales, il y a un pas, trop vite franchi, et sans doute motivé par l'adjonction d'un quatrième compère. Un jeune saxophoniste blanc, plus doué pour les acrobaties ou pour apostropher le public que pour jouer de son instrument. Ses échanges-duos avec Norman Jackson relèvent de la comédie, du sketch comique, ce qui, devant un public non anglophone, suscite l'incompréhension et non l'adhésion.

 


Rick Short, Norman Jackson

 

 

 

Dwayne Dopsie ayant annulé sa tournée, c'est dans l'urgence qu'il lui fallut trouver un remplaçant. Le choix de Ruben Moreno et Dwight Carrier avait l'avantage de la nouveauté. Le dernier appartient à la dynastie des Carrier dont on connait l'oncle, Roy, et le cousin, Chubby. Dwight semble avoir choisi ce soir le rôle du guitariste rythmique, efficace mais effacé, laissant le champ libre à Ruben Moreno, figure montante du zydeco. Il s'accompagne à l'accordéon diatonique mais soigne surtout les vocaux. Il est particulièrement brillant dans les ballades (Tennessee whiskey, Send me some lovin'…), au risque de s'éloigner des particularismes du zydeco. Car même si le batteur est excellent, l'apport rythmique du rubboard fait défaut. Ce n'est qu'en toute fin de concert que l'ambiance festive de zydeco reprendra ses droits avec Dwight Carrier passé à accordéon-boutons et Moreno au frottoir pour un Hey Pocky a-way très réjouissant.

 


Dwight Carrier,  Ruben Moreno

 


Ruben Moreno

 


Joseph Tobiah Whitfield

 


Dwight Carrier

 

 


Sharde Thomas

 

 

Un Colombien jouant le blues dans le Mississippi, ce n'est pas banal. Pourtant, ça existe, la preuve avec Carlos Elliot Jr. programmé en ouverture de la deuxième soirée du Bay-Car. Le vétéran de la scène de Clarksdale Dale Wise tient la batterie comme il le faisait auprès de Big Jack Johnson, avec assurance et dynamisme. Le band est complété par le guitariste Bobby Gentillo, parfaitement complémentaire du leader, et, ponctuellement, par Alain Michel. C'est à cet excellent harmoniciste, vu au fil des années dans différents contextes (Colporteurs, Crazy Hambones), que l'on doit la venue de Carlos Elliot. Jeune, mince, virevoltant, il ne ménage pas sa peine, arpente la scène à grands pas, saute dans la salle, joue avec le public. Il fait preuve aussi d'introspection dans un blues lent ou Got this feeling. Il lui reste encore à personnaliser son jeu, mais il possède un potentiel certain.

 


Carlos Elliot Jr

 


Bobby Gentilo

 


Dale Wise

 


Alain Michel

 

 

 

La quasi-totalité de l'équipe de l'album “Soul Burnin'”, produit à Chicago par Dave Specter, se retrouvait sur la grande scène du festival, après être intervenue dans les lycées et écoles de musique dans le cadre d'une résidence d'artistes à Grande-Synthe. Le patronyme de Lil' Red & The Rooster cache quelques-unes des fines lames de blues français : Denis Agenet à la batterie, Abdell B. Bop à la basse, Pascal Fouquet à la guitare au service de l'Américaine Jennifer Milligan, au chant et au washboard. Plus Fabrice Saussaye aux claviers. Sans oublier Dave Specter qui, avec Pascal, nous a offert les meilleures parties de guitare du festival, admirablement construites, distillées avec goût, dénuées de toute esbroufe. Du grand art ! Lil' Red (certes rousse, mais pas petite !) mène sa troupe avec l'énergie d'une meneuse de revue mais sait faire preuve aussi de sensibilité et d'humour.

 


Dave Specter, Jennifer Milligan, Pascal Fouquet, Denis Agenet

 


Jennifer Milligan

 


Dave Specter

 


Denis Agenet

 


Fabien Saussaye

 

 

 

L'initiative de cet Acoustic Mississippi Blues Summit Tour revient à Zac Harmon et il faut l'en féliciter, d'autant qu'il accepte de partager la scène sans tirer la couverture à lui. C'est Vasti Jackson qui se lance le premier, seul à la guitare amplifiée, debout comme pour mieux ressentir corporellement des morceaux tirés de son propre répertoire (My computer turned me on, Mississippi and you) avec tout juste un emprunt à Jimmie Rodgers. Il est ensuite rejoint par Terry “Harmonica” Bean à l'harmonica et Zac Harmon qui prend la direction des opérations. Sa voix chaleureuse fait la différence et, en trois longs morceaux, il installe un climat très prenant, bien aidé par ses camarades très impliqués. On se régale de Hattie Mae, du gospel I'm gonna cross the river of Jordan et plus encore de I'm bad like Jesse James, le formidable talking blues de John Lee Hooker. 

 


Vasti Jackson, Terry Bean, Zac Harmon

 


Vasti Jackson

 


Zac Harmon

 

 

Puis Terry Bean se retrouve seul pour une séquence bien enracinée dans son Mississippi. Difficile de résister à sa voix sourde, complètement pénétrée, l'accompagnement rythmique de sa guitare et les parties d'harmonica (sur rack) virtuoses, comme dans Sittin' on top of the worldHoodoo man. Les trois complices sont à nouveau réunis par un final qui fait se lever la salle. Sans doute le point d'orgue du festival.

 


Terry Bean

 

 

La série New Blues Generation en est à sa cinquième saison et passe, comme toujours, par Gande-Synthe. Elle avait l'attrait de la nouveauté puisqu'on n'avait encore jamais vu sur nos rivages ni Jamiah Rogers ni Annika Chambers. Malheureusement, une sonorisation devenue forcenée (sans doute imposée par le groupe), a empêché de juger de leurs possibilités, les instruments couvrant les voix. D'autant que la dame n'avait pas décidé de faire dans la dentelle, mais plutôt dans l'entertainement à marche forcée.

 


Annika Chambers

 

 


Michael Hensley

 


Tony Rogers

 

Jamiah Rogers a laissé entrevoir de belles aptitudes tant au chant qu'à la guitare, évoquant parfois Buddy Guy. Il s'est illustré notamment dans Detroit blues again (?) et Cadillac assemblline d'Albert King. À revoir dans un contexte plus apaisé…

 


Jamiah Rogers

 

 

 

Pas de quoi assombrir le bilan de ce Bay-Car Blues Festival qui a, une nouvelle fois, tenu ses promesses et su rassembler un large public. Merci à Patrick Vermeersch, Dominique Floch et leur équipe de bénévoles pour faire vivre ce temps fort de la scène blues en France. 

Jacques Périn
Photos © J-M Rock’n’Blues
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Vasti Jackson