Cherise, Pop-Up du Label, Paris, 2024
09.12.2024
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8 et 9 novembre 2024, Palais du Littoral, Grande-Synthe (59)
« Nos régions ont du talent » proclame une marque de grande surface, on pourrait appliquer la formule au groupe Soulful Sisters présenté en ouverture du Bay-Car. Résidant dans les Hauts de France, les sept musiciens et les trois chanteuses réunis par le guitariste Eric Liagre (ex-King Pepper) sont des adeptes d’une soul old school venue de Memphis et alentours. Chacune des chanteuses devient tour à tour soliste, soutenue par le chœur des deux autres. Hélène Nepos, la première, chante Precious precious et finit de séduire avec un I can’t stand the rain très churchy. Après un Ooh poo pah doo où les cuivres rêvent de New Orleans, Sandrine Vahié reprend avec ferveur le Dr. Feelgood d’Aretha et offre à la guitare d’Eric Liagre une belle séquence sur Born under a bad sign. Enfin Renya Ketoglo, nous régale de Mr. Big Stuff et Tell mama. En rappel et à nouveau réunies sur le devant de la scène, les trois Soulful Sisters reprennent fièrement You’re gonna make me cry dans une veine gospelisante dans laquelle Renya excelle. Une découverte !
La cuvée 2024 du Chicago Blues Festival inaugurait ici à Grande-Synthe sa longue tournée. Les petits soucis remarqués parfois (comme le sous-emploi de Johnny Iguana aux claviers) se régleront sans doute au fil des semaines sur la route. Premier point positif : tous les participants sont présents sur scène, du début à la fin du concert, évitant l’impression de défilé d’individualités parfois ressentie. Sans doute la moins connue, Sheryl Youngblood ouvre depuis la salle et révèle un vrai tempérament d’entertainer. Venue du gospel, elle mixe avec conviction blues et soul, bien en phase avec la rythmique (Cresenciano Cruz, b ; Victor Reed, dm). Elle rend aussi hommage à Jimmy Johnson en reprenant sa dernière composition, Every day in your life, qu’elle a gravée sur Delmark. L’atmosphère se tend lorsque Dave Herrero prend les rênes, il joue bien et fort, souvent dans une veine funky. Stephen Hull qu’on avait vu dans cette salle avec Andrew Alli, choisit une voie plus personnelle, même s’il a tendance à souvent changer de registre au fil des titres. Symptomatiquement, c’est avec un titre vieux de 70 ans, Caldonia, qu’il emporte l’adhésion. Le rappel obligé nous vaut une belle inhabituelle reprise du Take me to the river d’Al Green.
Très à l’aise sur scène, communiquant naturellement avec le public, Dawn Tyler Watson mêle avec élégance, aplomb et talent, blues, soul et jazz. Elle est venue avec les deux piliers de son groupe québécois, Ben Racine à la guitare et Kaven Jalbert au saxophone ténor, rejoints par des Français qu’elle connaît bien : Vincent Pollet-Villard aux claviers, Antoine Escalier à la basse et le Pascal Delmas à la batterie. Puisant surtout dans ses deux derniers albums avec le Ben Racine Band, elle enchaîne It ain’t Elvis (bon passage scatté), A little bit more (en duo avec Ben Racine), You’re the only one for me (très New Orleans), Don’t make me mad et conclut en beauté sur le gospel Shine on. Tout au long de son set, la tension et l’attention n’auront cessé de croire, au fil des prouesses vocales et instrumentales.
Les deux inter scènes avaient été assurées par le duo Larry Vigo Soul (David Vallaeys, guitare et chant, et Stéphane Wills aux percussions) reprenant avec compétence et appétence les classiques soul empruntés à Marvin Gaye ou Bill Withers, joliment adaptés. Le lendemain, le ton s’est durcit avec Vanessa Harbek, une chanteuse-guitariste argentine, soutenue par un groupe polonais, Sulwalki Band, pour deux sets de rock blues bien trempé. Seul problème, compte tenu du niveau sonore élevé, les discussions devenaient difficiles dans ce moment de convivialité et de retrouvailles.
Cette soirée du samedi a été inauguré par Black Cat Biscuit, le groupe belge maintenant adopté par les scènes hexagonales. Et pour cause : ils allient un répertoire original et pertinent, exécuté avec brio, à un sens très sûr de la scène. Les tenues sont soignées et Bart Arnauts, le leader, fait preuve dans ses apartés d’un humour pince sans rire irrésistible. C’est lui le chanteur, mais aussi un guitariste rhythmique très sûr, adepte de sonorités twangy (Bad James). Mark Sepanski à l’harmo et Raffe Claes à la guitare se partagent les solos plus virtuoses, tandis que le contrebassiste Patrick Indestege est à l’honneur dans Mean is just an average et le batteur Jeff Gijbels dans Sons of a vampire.
Réunis par Bob Corritore sous la bannière un peu ambitieuse de Living Legends of Chicago Blues, on découvre Jimi “Primetime” Smith, le fils de la chanteuse Johnnie Mae Dunston, manageuse de Jimmy Reed, et Oscar Wilson, connu pour sa collaboration avec les Cash Box Kings. Diminué physiquement, il se déplace difficilement, appuyé sur une canne dès qu’il quitte son siège. Heureusement, la voix ne trahit pas son état, même si au bout du troisième titre, High & lonesome de Jimmy Reed, il va se reposer au fond de la scène. Primetime Smith qui accompagnait classiquement à la guitare s’empare du micro, mais le chant n’est pas son point fort. De plus, caché sous un chapeau et derrière des lunettes noires, il ne suscite guère l’adhésion. Heureusement, Oscar Wilson reprend les rênes avec quelques pièces de Little Walter ou Howlin’ Wolf, dont l’excellent Shake for me. Tout au long du set, c’est l’harmonica de Corritore qui aura capté l’attention, par la richesse et la variété de son inspiration. Et même si la présence d’une rythmique aurait été bienvenue, on a apprécié ces moments de blues low down intemporel.
Complet changement d’atmosphère avec le Nick Moss Band, l’un des groupes les plus en vue du Chicago blues. Chacun des quatre membres (le cinquième, le claviériste, étant aux abonnés absents) est un maître dans sa spécialité, Pierce Downer à la batterie et Rodrigo Mantovani à la basse forment une rythmique élastique et inspirante. À l’harmonica, Dennis Gruenling redouble d’efficacité, son jeu sinueux est en phase avec sa gestuelle. Il apporte un soin particulier à son look, veste léopard, bague à chaque doigt et ongles manucurés. Tout l’inverse de Nick Moss, moins soucieux de son allure que de sa musique. Excellent chanteur, il est réellement captivant à la guitare (une Fender Jaguar), tant dans les instrumentaux que les blues lents dépouillés qu’il sait amener au paroxysme, comme Buddy Guy le faisait au temps de sa gloire. Stone crazy connait grâce à Moss une nouvelle vie. Parfois, emporté par son zèle, il pousse le volume jusqu’à des niveaux dangereux, pour lui et le public (avec plus de 100 dB, le seuil de tolérance est allègrement franchi !). Malgré ces débordements, le Nick Moss Band clôturait magistralement ce festival exemplaire dans sa programmation et son organisation. On comprend pourquoi il affiche toujours complet.
Texte : Jacques Périn
Photos © Thierry Wakx