The Stylistics, Théâtre du Gymnase Marie Bell, Paris
05.11.2024
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Palais du littoral, Grande-Synthe (59), 4 et 5 novembre 2022.
C’est Arnaud Fradin qui lance les festivités en configuration Roots Combo. Le quartette joue à fond la carte du blues traditionnel. Il apporte le savoir-faire de musiciens émérites et impliqués, porteurs d’arrangements personnels. On a beau connaître (ou pas) les originaux de Muddy Waters, Robert Johnson ou Buddy Guy, on se régale des relectures proposées par le Roots Combo. Le chant d’Arnaud (falsetto ou pas) et ses interventions à la guitare acoustique (steel ou pas) sont impressionnants tout comme les solos d’harmonica virtuoses et foisonnants de Thomas Troussier. Arnaud peut aussi chanter Bob Dylan (Don’t think twice) et reprendre son Well well well, comme Ben Harper avec les Blind Boys Of Alabama. Un titre qui n’était pas sur l’album, pas plus que les formidables emprunts à Blind Willie Johnson (Dark was the night, Keep your lamb trimmed) qui laissent espérer un prolongement. Igor Pichon à la contrebasse et Richard Housset à la batterie (aux baguettes, balais, mailloches ou à mains nues, c’est selon) font aussi un super boulot, se mettant en avant dans le final I know it was your love, un titre de Malted Milk qui ne dépare pas ici.
Sans transition, comme on dit à la radio, on enchaîne avec Boogie Beasts, un groupe belge, dont le nom et la posture ne trompent pas. C’est du roboratif, du buriné, boosté par une sono gonflée. Le leader s’amuse d’ailleurs de ce public sagement assis, alors qu’ils sont habitués à jouer en plein air devant des fans une pinte de bière à la main. Inspirés, semble-t-il par ZZ Top ou les Black Keys, les Boogie Beasts dégagent une force et une cohésion qui révèlent une maîtrise incontestable des deux guitaristes-chanteurs, Jan Jaspers et Patrick Louis, de l’harmoniciste Fabian Bennardo (vu avec Stinky Lou & The Goon Matt et Elmore D) et du batteur, Gert Servaes. Ils puisent chez Junior Kimbrough, John Lee Hooker ou Howlin’ Wolf, mais aussi dans leurs propres compos (Bring it on, I don’t care, Mad…), et finissent par mettre tout le monde debout !
Carolyn Wonderland était la surprise et l’inconnue du festival. Surprise parce qu’uniquement programmée à Grande-Synthe. Inconnue parce qu’elle y faisait sa première apparition en France (si l’on excepte ses venues en sidewoman de John Mayall). C’est sans doute sa signature sur Alligator (“Tempting Fate“, 2021) qui lui a ouvert les portes de l’Europe. En tout cas, elle aura été la révélation du festival, s’affirmant non seulement comme une chanteuse exceptionnelle, à la voix chaude et passionnée, mais aussi une guitariste incroyable. Le Texas blues irrigue son jeu en finger picking. Elle a retenu les leçons de l’université Antone d’Austin qu’elle a beaucoup fréquentée. Elle pratique aussi la lap steel et la slide. En plus de la paire rythmique (Naj Conklin, basse et Giovanni Carnuccio, batterie), elle était secondée vocalement par Shelley King (aussi guitariste rythmique) sur des titres issus de son répertoire (l’engagé The laws must change, Fragile peace and certain war, Honey bee aux accents louisianais…) ou de rares reprises (je n’ai relevé que Two trains runnin’).
Le concert du lendemain, samedi, s’ouvrait aussi par une formation hexagonale, dont le leader est “contribuable“ de Grande-Synthe. (C’est lui qui l’a dit !). Mais ce n’est sûrement pas la raison de sa présence sur cette scène ! Le dernier projet de Nico Duportal élaboré avec ses Lowland Brothers a fait l’unanimité depuis sa création et nous avons eu l’occasion dans nos pages ou sur ce site d’en rendre compte. Je les voyais pour la quatrième fois et je dois avouer avoir été impressionné par la maturité atteinte. Certes, les débuts attestaient de l’ambition du projet et du travail accompli. Mais, aujourd’hui, les “coutures” ont totalement disparu. Les musiciens peuvent se lâcher et prendre du plaisir, et nous avec ! On se laisse porter par les mélodies éthérées comme les grooves soul menés par la guitare maîtrisée du leader, les claviers maintenant confiés à Julien Bouyssou et la batterie de Fabrice Bessouat. Le chant sensible de Nico Duportal est soutenu par les chœurs séraphiques d’Hugo Deviers (percus, guitare ponctuelle) et de Max Genouel (basse).
Le plateau New Blues Generation concocté cette année par Guillaume Tricard présentait d’abord Stephen Hull, fringuant jeune homme de 23 ans au costume ajusté. C’est un guitariste qui se montre impressionnant par sa maîtrise et sa classe. Pas de démonstration ni de cliché, mais un phrasé fluide (Big leg woman), parfois véloce ou plus tendu lorsqu’il évoque Albert King. La récente pandémie ayant entravé ses ambitions discographiques, on espère qu’il pourra bientôt reprendre le cours d’une carrière prometteuse. Celle d’Andrew Alli a déjà pris son essor grâce justement à son album “Hard Working Man“ et c’est un plaisir de le voir enfin. Comme Hull, sa prestance scénique ajoute à ses interprétations inspirées, issues du disque comme l’instrumental AA boogie, le shuffle So long ou le formidable blues lent 30 long years qui me fait penser, dans l’expressivité, à Junior Wells. Sinon, c’est plutôt du côté des Walter, Little et Horton, qu’il penche. Le batteur Victor Reed se distingue aussi particulièrement par son jeu offensif et inspiré. À la fin du set, Hull reprend le micro pour I believe to my soul. Ce dont on ne doute pas !
Pour le final, Pascal Delmas avait assemblé un collectif étoffé autour de Mike Wheeler : Benoit Ribière à l’orgue, Antoine Escalier à la basse, lui-même à la batterie, augmentés des Capitol Horns. Qui ne viennent pas de Washington mais plutôt de Toulouse avec Sylvain Téjérizo au ténor et Sébastien Claveau à la trompette. Une section de cuivres qui sera sollicitée tout au long du set, reprenant avec conviction les arrangements de l’album “Turn Up“ (Delmark, 2016) que Wheeler revisitera largement. Généreux, il s’investit beaucoup dans son jeu de guitare, foisonnant et parfois même étouffant, mais quelle technique ! Son chant soulful est aussi remarquable, particulièrement dans A blind man can see ou You won’t do right. Une seule reprise, It serves you right to suffer de Hooker, à laquelle il donne un éclat tout personnel.
La fête est terminée pour cette année. Sur scène, on range les amplis et enroule les câbles. Dans la salle, on replie les tables et les chaises. Dans le hall, on s’attarde encore. On commente et on se donne rendez-vous l’année prochaine.
Texte : Jacques Périn
Photos © J-M Rock’n’Blues
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