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09.10.2024
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25 mars 2019. Festival Banlieues Bleues.
D’un concert de Bassekou Kouyate, épatant gratteur de cordes du sud malien (région de Segou), on en prend généralement plein les mirettes et les oreilles. Ou comment l’excellent festival Banlieues Bleues n’aura peut-être jamais aussi bien porté son nom. Qualifié par la presse et le public comme le champion toute catégorie du ngoni (un petit luth à quatre cordes traditionnellement utilisé dans certaines musiques d’Afrique de l’Ouest), ce vieux camarade de Taj Mahal et ancien musicien clef d’Ali Farka Touré a conforté ce lundi son statut de guitar hero.
Dans cette chouette salle de la petite couronne parisienne, c’est donc l’imposante silhouette de Bassekou Kouyate paré d’un costume traditionnel d’un bleu ciel étincelant que le public applaudi généreusement lors de son entrée. Ici à Montreuil, ville où réside une des plus importantes communautés maliennes, Bassekou et son groupe (Ngoni Ba) sont légitimement chez eux. Applaudissements et youyou, poignées de mains et embrassades accompagnent logiquement l’arrivée des musiciens.
Illustrant le tout récent “Miri” (cinquième album chroniqué dans Soul Bag n° 234), ce sont les arpèges cristallins de Kanougnon renforcés par la voix de l’impressionnante Amy Sacko, sa compagne à la scène et à la ville, qui ouvrent cet autre bal de l’Afrique enchantée. Ce long morceau introduit tour à tour chaque musicien. Ils sont officiellement cinq sur scène (ngoni, ngoni-basse, chant, calebasse, percussions et tambour tama), mais amis et famille étant en embuscade, on se doute que ça ne durera pas bien longtemps.
Certaines théories d’ethnomusicologues présentent le ngoni comme l’ancêtre du banjo, probablement à cause d’une corde servant uniquement de bourdon. En tout cas, l’exceptionnelle musicalité qui se dégage de cet instrument à l’allure rudimentaire est définitivement le clou du spectacle. Bassekou, visage placide, rêveur ou inspiré, armé parfois d’un bottleneck, possède aussi tout un parc d’effets relié à son instrument. Par le filtre d’une pédale wah-wah entre autres distorsions, les envolées solistes prennent rapidement des couleurs rock, blues, funk sur ce canevas musical tradi-moderne que lui assure le groupe. Communion totale avec un public qui chante et qui chaloupe, l’énergie communicative de cette joyeuse équipe est comme toujours complète… mandingue !
Blues d’Afrique, pas d’Amérique précise Bassekou. Et ce soir c’est donc la banlieue qui a le blues. Évoquant ce carnage récent dans le centre du Mali attribués à des factions armées se développant dans un contexte géopolitique local complexe (groupes islamistes, minorités ethniques, banditisme) le visage de ce « Jimi Hendrix malien » (comme le qualifie la presse rock anglo-saxonne) qui rayonnait l’instant d’avant se fait soudainement sombre. « Il faut que vous fassiez quelque chose, que l’ONU fasse quelque chose, que les politiques se bougent, ça ne peut plus durer, on en a marre ! », finira-t-il par lâcher, avec cette résiliation propre à ceux touchés de plein fouet.
Touché. C’est le sentiment qu’on a en ressortant des (presque) deux heures de concert. Une prestation pleine de simplicité et de virtuosité qui s’est terminé dans une grande fiesta scénique, où musiciens de dernière minute, danseuses improvisées, famille et copains se sont littéralement lâchés. Un lundi soir dans le 9-3, je n’avais rien trouvé de mieux pour attaquer ma semaine.
Texte : Julien D.
Photos © Wilfried-Antoine Desveaux
Line-up : Bassekou Kouyate (ngoni), Amy Sacko (chant), Mamadou Kouyate (ngoni basse), Mahamadou Tounkara (yabara, tama), Moctar Kouyate (calebasse).