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Live reports / 14.08.2017

Afropunk

Né à Brooklyn mais importé en France depuis 2015, le festival Afropunk semble avoir pris cette année sa pleine dimension : nouvelles dates au milieu du mois de juillet, nouveau site (un peu petit et dans lequel il faudrait prévoir des espaces pour s’asseoir !) et surtout une programmation de grande classe, qui oublie les incongruités des éditions précédentes (genre Jaden et Willow Smith, les enfants de Will Smith) au profit d’une sélection pointue qui ressuscite sans la nommer la notion de “Great Black Music”, mêlant découvertes et talents confirmés et couvrant un spectre artistique allant des sons venus d’Afrique au hardcore en passant par le jazz, la soul, le rock et même le blues. Point d’orgue de plusieurs jours d’événements (des séances de stand-up, un bal…), les deux jours de concerts, accompagnés d’un marché mêlant créateurs et associations, étaient organisés d’une façon inhabituelle pour un festival européen (et qui aurait sans doute mérité d’être mieux expliquée en amont et de faire l’objet d’un affichage sur site, en plus de l’application dédiée) : une scène unique coupée en deux, avec des concerts courts (de 20 minutes à une heure) qui alternent en chaque côté de la scène, entrecoupés de DJ sets, le tout aboutissant à pas moins de neuf heures de musique ininterrompue chaque jour, avec la présentatrice télé Aline Afanoukoé et la chanteuse Sandra Nkaké dans le rôle des passe-plats…

Arrivé trop tard pour entendre EME, vainqueure de la “battle of the bands” organisée par le festival, c’est avec le rock musclé de Tshegue, emmené par la charismatique chanteuse Faty Sy Savanet, originaire de Kinshasa, que commence l’après-midi pour un set énergique et direct auquel manque peut-être un tout petit peu de nuance.

Le rappeur congolais Baloji, désormais basé en Belgique, n’est pas passionnant, surtout comparé au blues rock musclé du quartet malien Songhoy Blues qui lui succède. Dans la lignée revendiquée du versant le plus électrifié de la musique d’Ali Farka Touré, le groupe mêle rythmiques hypnotiques et riff blues au service d’une musique accrocheuse et sans fioriture. Bien qu’ils aient dépassé largement le temps qui leur était alloué (sans que personne ne s’en plaigne), ils auraient bien joué encore plus longtemps, et demandent qu’on leur laisse au moins deux heures la prochaine fois, requête qu’on approuve volontiers !

À leur suite, le rappeur Sir the Baptist, originaire de Chicago et précédé d’une réputation très favorable, propose un set décousu (il s’interrompt même pour faire venir sa mère sur scène…) et bien peu convaincant. Quant à Ho99o9 qui lui succède, le niveau sonore de leur prestation suffit à me pousser vers les stands de restauration, par ailleurs de bon niveau et à prix décent, mais leur hardcore sera apparemment bien accueilli par un public à la très agréable ouverture musicale.

Dans un registre radicalement différent, les sons électros de Petite Noire me laissent également froid. Changement d’ambiance avec Fantastic Negrito, dont Soul Bag a déjà chanté les louanges. Son blues électrique et imprévisible, qui sonne parfois un peu artificiel sur disque, prend toute sa dimension sur scène, et l’artiste originaire d’Oakland donne un très bon set cohérent et intense, qui enthousiasme un public qui, en grande majorité, le découvre.

Dans la foulée, les vétérans funk français de FFF – que je n’avais pas vu depuis… vingt-cinq ans ! – proposent un show consensuel et plutôt excitant. Les excursions de Marco Prince du côté des télécrochets et celles de Yarol Poupaud du côté de la variété franco-belge n’ont pas laissé de trace, et le groupe, qui n’a pas publié de nouveau disque depuis 2000 – un album serait en préparation – semble revisiter sans états d’âmes ses faits d’armes comme l’historique Barbès, toujours dédié « aux quartiers populaires ».

Les prises de positions politiques sont d’ailleurs un des éléments qui unit, au-delà des esthétiques musicales différentes, la plupart des artistes qui se produisent à Afropunk. Même sans naïveté (le festival est produit par la multinationale Live Nation…), il est réjouissant de voir un festival qui fait une part forte à l’engagement politique et social comme élément de son esthétique. Les sponsors y sont d’ailleurs fort discrets et les banderoles de chaque côté de la scène reprennent, plutôt que le logo d’une quelconque corporation, les slogans du mouvement afropunk et leur refus du racisme, de l’homophobie et de toutes autres formes de haine et de discrimination. Au-delà des grands mots et des proclamations, il est d’ailleurs à noter que le comportement du public, accueillant et tolérant (en plus d’être extrêmement bien habillé !), était à la hauteur des valeurs affichées, contribuant largement à la réussite de l’événement.

Le final de la journée était confié à Macy Gray. Contrairement à ses habitudes, celle-ci est arrivée à l’heure – après toute une journée de concerts, le programme a été respecté à dix minutes près, un bel exploit de l’organisation –, mais elle a donné une prestation sans âme, reposant sur ses grands tubes interprétés comme en pilotage automatique malgré quelques bons moments comme sa reprise de Creep de Radiohead ou son classique I try, visiblement très attendu par le public.

Le dimanche commence par la plus belle découverte du festival, la canadienne SATE (à prononcer “set”, apparemment). Body de cuir noire, crête blonde, grosses guitares et voix soul, impossible de ne pas penser à Betty Davis ou à Joyce Kennedy, la voix de Mothers Finest. Avec un orchestre solide qui la suit au diapason, un répertoire personnel accrocheur et varié (une très belle ballade, The answer, au milieu d’un set orienté rock) et une présence magnétique, elle a tout pour devenir une star ! Elle a fait quelques dates françaises trop discrètes cet été, espérons pouvoir la revoir plus longuement bientôt.

Précédées d’un buzz très favorable, les Nova Twins, qui lui succèdent, ont tout bon côté look et attitude, mais la musique, qui se veut punk à l’ancienne, ne suit pas, surtout quand on se rend compte que le duo faux-sororal basse-guitare, accompagné d’un batteur, bénéficie d’une aide extérieure (des bandes ou un musicien discret ?) pour les parties de guitare…

Pas besoin d’artifice pour Blitz the Ambassador. Le rappeur ghanéen, désormais installé à Brooklyn, a le flow, l’orchestre et le répertoire qu’il faut pour tenir la foule dans la paume de ses mains, et son set passe à toute vitesse.

On fait l’impasse sur Disiz la Peste, le temps d’aller se restaurer, et c’est l’heure d’accueillir Laura Mvula, visiblement très attendue. Cheveux courts verts et keytar (dont elle ne jouera que ponctuellement) en bandoulière, la chanteuse britannique a acquis sur scène l’aisance qui lui manquait lors de la sortie de son premier disque et son set est l’un des plus brillants du week-end, même si, comme d’autres artistes, elle déplore un certain manque de réaction du public. Son Sing to the moon tutoie les étoiles, et ce n’est pas seulement un jeu de mot facile.

Plus de deux ans après la sortie de son excellent “Gospel Journey”, Faada Freddy continue à tourner avec le spectacle issu de cet album. En version concentrée – tout juste quarante minutes –, son show a cappella, aidé de cinq autres voix, est encore plus efficace, entre gospel et soul, et sa personnalité rend l’ensemble, naturellement euphorisant, encore plus irrésistible.

Le contraste pourrait difficilement être plus fort avec le set du groupe de Robert Glasper qui lui succède, tant celui-ci semble avoir fait de la facilité et de la vacuité les maîtres mots de sa musique. L’ensemble pourrait d’ailleurs être rebaptisé le Casey Benjamin Experience, tant celui-ci, médiocre saxophoniste et chanteur sans envergure, occupe de place dans un son qui oscille entre soul sans âme et jazz d’ameublement. Ceux qui ont entendu Glasper sur scène avant la sortie de “Black Radio” savent ce que la musique a perdu dans l’histoire…

Yasiin Bey – l’ancien Mos Def – rejoint ensuite le groupe de Glasper pour ce qui est annoncé comme sa dernière prestation parisienne – lui-même nuancera en précisant « sous cette forme ». Le début est, comme souvent avec lui, confus, mais le concert décolle quand il est rejoint pour un titre par De La Soul – visiblement à sa propre surprise, car il fond en larmes ! Le reste de la prestation, pour laquelle il abandonne les musiciens au profit d’un DJ, ne retrouve pas les mêmes sommets mais reste de bon niveau – si on accepte le comportement parfois un peu déstabilisant de l’artiste, capable de demander pendant cinq minutes aux éclairagistes de supprimer toutes les lumières qui ne sont pas bleues… L’ensemble, avec ses forces et ses faiblesses, constituait un beau final pour un festival original et ambitieux, dont on espère qu’il se développera encore dans les années à venir.

Frédéric Adrian

afropunkfest.com/paris