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Live reports / 16.07.2019

A Christian McBride Situation, New Morning, Paris.

9 juillet 2019.

Protégé à ses débuts du grand Ray Brown, Christian McBride s’est imposé depuis le début des années 1990 comme un des contrebassistes les plus en vue de la scène jazz : outre une discographie personnelle copieuse, du trio au big band, il est un sideman très demandé, entendu entre autres avec Diana Krall, Freddie Hubbard, Herbie Hancock, Pat Metheny, Jack DeJohnette, Roy Haynes et Chick Corea. Bien qu’il soit ancré dans le jazz, il n’a jamais caché son intérêt pour la soul et le funk et avait même convaincu James Brown de rejouer son légendaire album “Soul On Top” quelques mois avant son décès…

Habitué des tournées françaises – il était de passage l’année dernière avec son big band –, c’est dans un registre groove qu’il se présente cet été sur les scènes européennes, avec une étape parisienne de deux soirs au New Morning entre une série de dates en festivals. Pour l’occasion, c’est une formation atypique qu’il propose – un sextet sans batterie, dans lequel les parties rythmiques sont assurées par deux DJ – avec un line up proche d’un all star : DJ Jahi Sundance Lake et DJ Logic, habitués des projets “tout terrain”, le fidèle saxophoniste Ron Blake, la chanteuse Alyson Williams – responsable d’une série de tubes R&B entre la fin des années 1980 et le début des années 1990 – et, aux claviers, celle que McBride appelle « our resident legend », Patrice Rushen. Un peu oubliée sans doute aujourd’hui – mais une nouvelle anthologie de ses années Elektra devrait rappeler son existence au public –, celle-ci a enchaîné les succès pendant une bonne partie des années 1970 et 1980 avec ses albums entre funk et jazz et quelques singles percutants, mais se contente depuis d’un rôle de sidewoman de luxe… 

Le New Morning est plein pour accueillir ce groupe qui n’a pas encore enregistré mais que McBride présente comme un projet de long terme. Les différents membres prennent place successivement sur scène, chacun des musiciens se présentant par un court solo. Dernier à arriver, McBride délaisse la contrebasse au profit d’une basse électrique – à la grande inquiétude de quelques spectateurs ! Ceux-ci seront brièvement rassurés lorsque la contrebasse fera son apparition pour le morceau suivant, une belle version de Night in Tunisia dans un arrangement largement inspiré de celle de Chaka Khan, mais l’électricité est vite de retour pour deux compositions de membres du groupe, The appointment de Ron Blake et Spirit of joy de Patrice Rushen, un extrait de son album personnel de 1997.

Chaque morceau fait l’objet de longs développements et de passages solos étendus par l’ensemble des musiciens – y compris la chanteuse, dont les contributions sont traitées comme un solo parmi d’autres, tandis que les deux DJ assurent la rythmique. Surprenante au début, d’autant que les machines n’ont pas la souplesse d’une batterie “live”, la formule finit par séduire, dans un registre qui évoque – inconsciemment ? – celui des séances Jazzamatazz impulsées par Guru et DJ Premier…

Après un entracte rapide, le second set est consacré à un répertoire de standards : d’abord In a sentimental mood, parfaitement chanté par Alyson Williams, en format totalement acoustique – Rushen abandonne même ses claviers pour le piano à queue du New Morning – sans les machines, puis un autre classique ellingtonien, It don’t mean a thing, bousculé par les machines et repris en chœur à pleine voix par un public aux anges. L’habituellement insupportable Summertime qui suit est ici aussi totalement dépoussiéré par un arrangement très dynamique. Mais le répertoire fait de toute façon figure de prétexte à l’expression des solistes, qui disposent de larges plages pour s’exprimer. Si McBride, leader titulaire, fait rugir et ronronner sa basse, tous ses accompagnateurs sont des musiciens de premier plan, imaginatifs et sans clichés.

Tous sont irréprochables, mais c’est Rushen qui est la plus constamment remarquable : aux synthés, au piano électrique, au piano, elle est fascinante d’aise et de créativité. McBride, qui l’appelle à plusieurs reprises « la Reine », est visiblement heureux de sa présence dans son groupe, mais finit par demander, devant l’enthousiasme du public à chacune de ses interventions, si le public est venu pour le groupe ou juste pour elle ! Seul regret : confinée dans son rôle d’accompagnatrice de luxe, elle n’a pas la possibilité de chanter… C’est sur un hommage à rallonge à James Brown, avec Ain’t it funky now, que se clôt la soirée. Pas de rappel, malgré les demandes du public, mais le groupe a déjà joué plus de deux heures ! Une belle soirée de jazz en dehors des sentiers battus, et une envie en sortant : entendre désormais miss Rushen dans son propre répertoire !

Texte : Frédéric Adrian
Photos © DR

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