;
Live reports / 11.09.2021

Rendez-Vous de l’Erdre 2021

Le festival des Rendez-Vous de l’Erdre a retrouvé son nom en 2021 et sa programmation musicale et fluviale. Seule sa géographie a dû une nouvelle fois s’adapter au contexte sanitaire, dans une configuration toutefois plus libre qu’en 2020. Le jazz occupe les douves et la cour du château des Ducs de Bretagne au centre de Nantes, le blues se concentre à Sucé-sur-Erdre et la rivière Erdre accueille toujours une impressionnante armada d’embarcations de tous types. D’autres composantes du festival comme le Kiosc et le “off” proposent également de multiples concerts. Live Report à deux voix par Nicolas Deshayes et Christophe Mourot

Nantes, du 18 au 29 août 2021.

Tout commence pour nous le 18 août avec la tournée des Batignolles à la maison de quartier de la Halvèque. Lowland Brothers ouvrent cette petite scène joliment installée et animée par l’équipe locale. Le groupe a tourné pendant longtemps mais continue de travailler son répertoire et les formules possibles. Pour ce soir, ils sont électro-acoustiques avec notamment la contrebasse de Max Genouel, les percussions de Fabrice Bessouat, la guitare et les percussions d’Hugo Deviers. Seul Nico Duportal a une guitare électrique. Tout en proximité, les quatre compères égrènent leur répertoire avec douceur et décontraction, Sunburns in december, Promised land, Keep on keepin’ on, Rolling man, concluant en rappel avec Going down slow et Nico chante le tout de façon intime. Cela fait naître une forme de frustration pour les fans qui aimeraient que les musiciens se lâchent plus mais ils savent que ça arrivera au plus tard lors du concert final du dimanche 29.

Le lendemain soir, la même scène est occupée par le Kévin Doublé Quartet avec Kévin au chant, à l’harmonica et la guitare, Pierre Le Bot au piano, Anthony Muccio à la contrebasse et Gabor Turi à la batterie. Kévin est doué pour assembler un répertoire fait de blues et de jazz de toutes les époques, qu’il chante avec crédibilité et classe, se frottant même aux livrets de Jon Hendrix et Gregory Porter dans une concentration et une émotion qui emportent le public. Ses trois acolytes ne sont pas en reste, avec de belles parties d’accompagnement et des solos justes et sensibles. L’impressionnant Gabor Turi, de plus en plus connu sur la scène nantaise, offre en prime une séquence de claquettes attractive. (CM)

Lowland Brothers

Le vendredi soir, la foule présente est augmentée de groupes de danseurs comme il y en a à chaque fois que Stomp Stomp joue quelque part. David Avrit, chant et batterie, Thomas Croguennoc, saxophone, Arnaud Lécrivain, trompette, Thomas Mayeras, piano, et Jeff Vincendeau, contrebasse, forment un des ensembles les plus intéressants de la scène locale. Avec Fats Waller, Nat King Cole, Joe Liggins, entre autres, s’invitent à la soirée et sont interprétés avec un entrain sans faille. Les gars sont contents de jouer ensemble et leur bonne humeur se mêle à celle du public qui chauffe rapidement. Les danseurs viennent devant la scène pour It ain’t what you do, avant que les compositions originales Little foot swing et Toot that thing prouvent si besoin que le groupe a ce qu’il faut pour durer.

Le concert du lundi 23 août ayant été annulé, c’est le mercredi que la tournée des Batignolles reprend avec les Lowland Brothers au Studio Saint Georges, lieu musical aménagé dans une ancienne église. Nous jouons la carte de la diversité et allons voir Jakez & Friends qui jouent dans le cadre du “off” aux Barons Perchés près de l’ile Versailles. Avec David Avrit à la batterie, Julien Dubois à la basse et Nicolas Deshayes à la deuxième guitare, Jakez Rolland, guitare et chant, peut dérouler sans s’inquiéter son catalogue de blues électrique de Chicago, puisant chez Buddy Guy, Magic Sam, Muddy Waters, Jimmy Rogers, Magic Slim, Fenton Robinson, Albert Collins, Elmore James, de quoi transformer la terrasse du lieu en club du Westside et faire monter la tension au fur et à mesure que le public s’accumule. Jakez est toujours aussi bien placé au chant et à la guitare avec une attaque vive et tranchante et des vibratos délicieux. Il échange les solos avec Nicolas Deshayes qui ne résiste pas à son amour pour Jimmie Vaughan en lançant l’instrumental Dirty girl.

Autour de la place Aristide Briand de Nantes, des volontés se sont organisées pour monter depuis 2017 le Festival de Jazz Carrément Briand. Nom propre et organisation séparée des Rendez-Vous de l’Erdre, c’est étrange, mais c’est l’opportunité de retrouver The Royal Premiers qui y sont programmés le jeudi 26 au soir, juste après le Noly Duo de la chanteuse Sandrine “Noly” Allain. Xavier de la Pampa supplée Guillaume Zeller à l’orgue pour la soirée et Félicien David a pris la suite de Stéphane Vinet au saxophone. Les autres piliers du groupe sont là avec Ivy Fof au chant, Franck Daniel à la basse, Jeff Gaboriau au trombone, Yann Jaffiol à la guitare et Olivier Lacaille à la batterie. Comme ils le diront au micro, ils sont heureux d’être à nouveau sur scène avec du public et ils envoient leurs reprises de soul énervée des années 1960 dans un enthousiasme débridé qui fera oublier les errements de la sonorisation. Ils concluent en rappel avec un Memphis train qui met enfin le public en mouvement. (CM)

Stomp Stomp
Jakez & Friends
The Royal Premiers

700 mètres séparent le ZAZOU – bar désinvolte – du Zygobar, lieu incontournable du “off” des Rendez-Vous de l’Erdre. Cette courte distance à parcourir permet au sein de la même soirée d’apprécier deux trios qui, s’ils évoluent dans des styles bien différents, vont ravir des Nantais venus en nombre profiter des terrasses généreusement ensoleillées : Little Tom Trio et Kévin Doublé Trio. Tout en décontraction, Thomas Allain (chant, guitare, harmonica) propose un répertoire acoustique qui mêle blues et folk, reprises de Jimmy Reed ou JJ Cale et compositions personnelles inspirées. Un répertoire au-dessus duquel plane assez généreusement l’ombre de Bob Dylan. Mais, loin de se livrer à une pâle copie, le trio propose bien sa propre interprétation d’hymnes intemporels (I want you, Don’t think twice, It’s alright…) du génie du Minnesota. Arnaud Gobin (contrebasse) et Cyril Durand (batterie, percussions) assurent un accompagnement rythmique souple et efficace totalement en phase avec l’esprit de la musique pratiquée. L’enchaînement des dates, le développement des automatismes et une structuration encore plus poussée du répertoire feront sans aucun doute de ce trio une formation à suivre.

Du côté du Zygobar, quelques contraintes ont amené Kévin Doublé à évoluer en trio en lieu et place de l’habituel quartet. C’est donc au talentueux Bruno Denis (orgue) que revient la responsabilité de “remplacer”, le temps d’un concert, le contrebassiste Anthony Muccio et le pianiste Pierre Le Bot. La prestation est de très haute volée, le chanteur-harmoniciste-guitariste faisant preuve de son habituelle élégance dans un registre blues-jazz-swing qui lui sied à merveille. Sa voix de velours et ses interventions soyeuses à la guitare et à l’harmonica sont parfaitement mises en valeur par l’impeccable section rythmique au sein de laquelle se distingue tout particulièrement le batteur Gabor Turi, remarquable d’aisance et de créativité. Sans surprise, les guitaristes Julien Broissand et Max Genouel s’insèrent parfaitement au trio lors des trois titres de la jam finale. (ND)

Le vendredi soir, nous faisons une infidélité aux Rendez-Vous de l’Erdre et filons à la P’tite Case de Pornichet pour voir Mockingbirds & the Blues Committee, avec Gaël Roul au chant et à l’harmonica, Nicolas Deshayes et Pierre Dubigny aux guitares, Yann Renoul à la basse et Olivier Sueur à la batterie. Pour défendre son titre de plus grand groupe de swamp blues des Pays de la Loire, l’ensemble a concocté un répertoire érudit avec des reprises de Slim Harpo, Howlin’ Wolf, Ray Charles, Lazy Lester, Clifton Chenier, Junior Wells et consorts. Le chant est sobre et efficace, les solos de guitare sont dosés dans deux styles qui se complètent bien. En fin de concert, Fred Le Baron, leader des Deluxe Presidents, fait son apparition à la guitare et au chant avant que le groupe conclue sur le Hoodoo party de Tabby Thomas.

Mockingbirds & the Blues Committee

Et c’est samedi, avec l’ouverture de la grande scène blues dans le parc Germaine Le Goff de Sucé-sur-Erdre et le retour du tremplin. C’est la chanteuse Ndeye qui lance le tremplin avec Tristan Pagot et Tony Martin aux guitares. Les reprises de classiques sont bien chantées mais peut-être trop classiques, et c’est quand Ndeye propose une composition originale en wolof que la fièvre monte.

Doc Lou & the Roosters, Doc Lou, chant, harmonica et guitare, Jeff Hug à la guitare et Michel Geronimo à la batterie, ne se posent pas de questions et commencent à fond avec les titres phares de leur répertoire. Le mélange électro-acoustique, les séquences à l’harmonica chromatique, les solos de guitare électrique, l’humour risqué des interludes, tout ça fait passer un bon moment.

Cette première après-midi de tremplin se conclue déjà avec The Jakes Walkers, Ady Errd à la guitare et au chant, Jessy Gérin à la contrebasse et Bastien Flori à la guitare, vont remporter un joli succès avec leur folk blues ancien, joué avec fraîcheur et dynamisme. Ady a une voix forte qui colle bien au répertoire et Bastien est délicat à la guitare.

En première partie de soirée, Miss Bee & the Bullfrogs vont confirmer tous les espoirs placés en eux lors de leur victoire au tremplin 2019. Maëlys Baey au chant et au saxophone, Jean Guichemerre à la guitare, Rémi Grangé à la basse et Chadrak Angela à la batterie, sont tous jeunes mais pétris de talent, et visiblement travailleurs. Leur musique a gagné en maturité grâce aux interventions maitrisées de Jean à la guitare, à la couleur du saxophone de Maëlys, qu’on aimerait entendre plus, au groove apporté par Chadrak à la batterie, qui a une jolie façon de terminer les morceaux avec une sorte de triplette sur la charleston. Le répertoire est varié avec en particulier de très belles compositions originales et des reprises de Howlin’ Wolf, Elmore James, Bobby Parker, et un excellent chant avec de beaux accès de puissance. Et terminer un set avec une reprise chantée sur rythme lent de Soul serenade, il faut oser !

Miss Bee & the Bullfrogs

Arrive le moment attendu où Kirk Fletcher monte sur scène, accompagné de Cédric Le Goff aux claviers, Kris Jefferson à la basse et Fabrice Bessouat à la batterie. Les quatre se connaissent par cœur et on sent tout de suite qu’on va vivre un grand moment. Kirk dégage une aura particulière, faite de gentillesse, joie de vivre et bien sûr d’un énorme talent à la guitare. Rythmique ou solo, son jeu est juste, dosé, claquant ou doux aux bons moments, pour gérer la tension-détente. Au chant il est crédible et efficace, et les titres de son disque “Blues Pathway” passent bien, I’d rather fight than switch, repris à A.C. Reed, Ain’t no core for the downhearted. Cédric Le Goff intervient avec classe aux claviers et produit des solos à grimper aux colonnes d’éclairage. Kris Jefferson et Fabrice Bessouat ne sont pas en reste et se donnent à fond. Le final est inspiré par Freddie King et laisse les 1 200 spectateurs, jauge atteinte, en suspension. (CM)

C’est au quintet breton The Wacky Jugs qu’il revient d’ouvrir la deuxième journée du Tremplin des RDV de l’Erdre le dimanche 29. Cette formation qui a fêté en 2020 ses dix années d’existence n’a besoin que de quelques mesures pour se mettre littéralement dans la poche et le public et les membres du jury ! Il faut dire que la musique pratiquée, marquée par l’esprit des jug bands, le jive New Orleans et le zydeco est proprement enthousiasmante et invite spontanément à la danse. Les reprises audacieuses du Memphis Jug Band, de Leadbelly ou Gus Cannon illustrent une volonté de rendre hommage à ces glorieuses figures de la musique populaire américaine sans en proposer toutefois une lecture passéiste. C’est d’ailleurs l’une des grandes qualités de ce groupe qui n’en manque décidément pas. Autour du charismatique Jack Titley qui pratique avec un égal bonheur le chant, la guitare et surtout une originale et inhabituelle mandoline électrique en forme de Telecaster, Gurvan Leray (harmonica), Jonathan Caserta (contrebasse, basse), Rowen Berrou (batterie) et l’excellent Joseph Detailleur (accordéon) font montre aussi bien de grandes qualités musicales que d’une authentique joie de jouer ensemble et de partager. Une véritable révélation que ce groupe que l’on espère voir davantage dépasser les frontières de la Bretagne à l’avenir !

Pas évident certainement de succéder sur la scène du parc Germaine-Le Goff à une telle formation. Mais, le duo La Bedoune est rodé, maîtrise l’exercice de la scène et de la communication avec un public qui adhère généreusement au spectacle proposé. Il faut dire que les percussions jouées avec deux jambes n’appartenant pas au même corps (à la chanteuse et bassiste Cécile Perfetti la caisse claire, au guitariste Greg Perfetti la grosse caisse) sont pour le moins originales. Faisant la part belle à des compositions qui mêlent parfois le français et l’anglais, le répertoire d’abord assez électrique se fait plus acoustique au milieu du set. La volonté de sincérité et d’authenticité affichée n’empêche pas toutefois à nos yeux un certain manque de viscéralité et de rugosité.

La dernière note a à peine retenti que le jury du Tremplin se met en ordre de marche pour divulguer les résultats :

  • 1er Prix (concert sur la scène blues en 2022) : The Wacky Jugs.
  • 2e Prix (soutien financier à un enregistrement en studio) : The Jake Walkers.
  • 3e Prix (concert à Sucé-sur-Erdre en 2022) : La Bedoune.
  • Prix France Blues (participation à la finale du challenge France Blues) : Doc Lou & the Roosters.
  • Prix Odéon à Tremblay, Blues sur Suresnes, Montfort Blues, Bain de Blues (concert dans chaque festival) : The Jake Walkers.
  • Prix Rives de Blues & Co (concert en 2022) : La Bedoune.
  • Prix Collectif des Radios Blues (programmation en radio) : The Wacky Jugs.
  • Prix Soul Bag (couverture médiatique) : The Wacky Jugs.

De blues, en revanche, il n’est quasiment plus question dans le répertoire de Mister Mat (Mathieu Guillou) qui prend possession de la scène sur les coups de 19h30. On ne peut que constater (regretter ?) le tournant folk-pop-chanson pris par l’ancien Mountain Men dont la voix rauque et puissante fait mouche auprès d’une audience nombreuse, charmée tout à la fois par ses titres calibrés pour les radios (Désespérément optimiste), ses reprises audacieuses dans leur lecture mais sans grande surprise dans leur choix (Georgia on my mind) et ses anecdotes souvent savoureuses.

Mister Mat

Le blues, les cinq musiciens amenés à clôturer ce week-end sur la scène dédiée à la mère de toutes les musiques actuelles, ont passé (et passent encore !) jusqu’ici une bonne partie de leur carrière à s’en imprégner et s’y consacrer. Mais, à vrai dire, ce splendide projet qu’est Lowland Brothers et qui réunit depuis le printemps 2020 autour de Nico Duportal (chant, guitare), Max Genouel (basse, chœurs), Hugo Deviers (guitare, percussions, chœurs), Fabrice Bessouat (batterie, chœurs) et Damien Cornelis (claviers), refuse toute idée d’être enfermé dans un style, soumis à une étiquette. Le groupe, profondément imprégné d’influences diverses, convoque tout à la fois au sein d’un répertoire entièrement original, la rage et la délicatesse de la soul, l’énergie et l’urgence du rock ‘n’ roll, la puissance évocatrice de la country et l’ancrage ancestral du folk. Force est de constater que le concert donné par les cinq compères rejoints sur certains titres par les impeccables Barbara Belmonté, Julie Dumoulin et Laurence Le Bacon aux chœurs restera assurément comme un sommet de cette édition 2021 des Rendez Vous de l’Erdre.

Portés par l’énergie dévastatrice et contagieuse qui règne au sein du groupe, les compositions (Promised land, le sublime clin d’oeil à Mavis Staples qu’est Keep on keepin’ on, et d’autres encore), issues de l’excellent ”Dog, Saint & Sinner” publié par Nico Duportal en 2019 ou les morceaux plus récents découverts ces derniers mois en vidéo (l’hymne en puissance Sunburns in december, Love reigns over me) prennent sur scène une dimension nouvelle. Les titres s’enchaînent, charriant tour à tour des moments de délicatesse, de grâce et de fureur, l’amour règne incontestablement au-dessus de la scène et du public avec un groupe à l’unisson, remarquable de complicité. On en vient à regretter une programmation sans doute trop tardive un dimanche de veille de rentrée, un certain nombre de spectateurs ayant rejoint leurs pénates avant même les premiers accords d’ouverture du concert. Mais, l’assistance, consciente de sa chance, laisse éclater sa joie et son bonheur d’être là et savoure pleinement cet intense spectacle qui s’achève sur le prenant Just a rolling man. (ND)

Texte : Nicolas Deshayes et Christophe Mourot
Photos © Christophe Mourot sauf Little Tom et Kévin Doublé © Nicolas Deshayes

Nico Duportal
Christophe MourotfestivalNicolas DeshayesRendez-Vous de l'Erdre