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Live reports / 26.10.2018

Lisa Simone

« Je m'appelle Lisa Simone, je suis la fille de Nina et je rends hommage ce soir à ma mère. » Voilà pour les présentations, très solennelles, faites en français dès la fin du premier morceau, une reprise de Keeper of the flame amenée en douceur. Avec un sourire. Beaucoup d'autres suivront tout au long de ce concert exceptionnel, sorte de bouquet final de Jazz sur son 31, un festival qui comme depuis trente ans aura rythmé la vi(ll)e de Toulouse pendant plus de deux semaines. Un concert exceptionnel dans la forme surtout, avec la présence du Big Band Garonne venu accompagner la chanteuse américaine. La rencontre s'est faite au culot, celui de Philippe Leogé, pianiste et tête pensante de ce grand orchestre. C'est lui qui a suggéré l'idée. Au culot et aussi à la hâte. Une seule répétition, sans filet, trois jours avant le concert. Et la magie a fait le reste. 

 

 

 

Dans le souffle d'un long solo de sax venu conclure I hold no grudge, la magicienne d'un soir ne peut qu'approuver. Confession en trois temps : « J'adore, j'adore, j'adore chanter avec un Big Band », laisse échapper Lisa Simone, plus habituée c'est vrai à être secondée par un trio que par une armada de cuivres. Alors elle a jubilé (notamment sur le churchy I'm going back home), elle a chanté, elle a dansé pendant une heure qui a semblé presque trop courte, reprenant quasi-exclusivement des morceaux de choix du répertoire de Nina qu'elle avait déjà mis à honneur dans un premier album très confidentiel, “Simone On Simone”, publié en 2008.

 

 

 

 

De mère à fille, beaucoup de non-dits, de douleurs. Des souffrances nées d'une vie remuante aux quatre coins du globe : les États-Unis (où Lisa Simone est née en 1962), l'Australie, le Libéria (où elle a été scolarisée), l'Allemagne ou encore le sud de la France où elle habite désormais, à Carry-le-Rouet, dans la maison de sa mère disparue en 2003. Une vie à chercher, à se chercher, entre les biceps de l'US Air Force (Lisa s'engagera à l'âge de 18 ans et dirigera notamment le club de musculation de la base de Francfort) et les paillettes des cabarets. Autant de chemins sinueux qui lui auront permis de trouver sa voix, entre quelques coups d'éclats et pas mal de coups de blues, qu'elle accompagne d'un coup d'éventail sur le poignant Do I move you?, écrit par Nina mais qui lui colle aussi à la peau. Deux femmes au caractère frémissant, évidemment très différentes dans leur interprétation. Lisa, plus joueuse que Nina quand arrive le standard Fine and mellow de Billie Holliday. Plus libre aussi sur Black is the color of my true love’s hair qu'elle choisit d'accélérer dans une version très soulful après une brillante intro a cappella.

 

 

 

En résidence dans une Halle aux Grains conquise jusqu'au dernier strapontin (deux standing ovation homologuées par 2 200 spectateurs), Lisa Simone aura dévoilé un jeu de miroirs permanent, sans jamais baisser les yeux face au reflet d'un tel “héritage” (elle répètera le mot plusieurs fois) pourtant lourd à porter. Un héritage qu'elle assume aujourd'hui. Fièrement. Plus de chagrin, uniquement de l'amour pour une figure maternelle qui l'habite de tout son être quand résonnent les premières notes de piano de My baby just cares for me, placé en fin de setlist comme l'autre standard Feeling good. À 56 ans, Lisa Simone attrape enfin ses rêves, à l'image des boucles d'oreilles qu'elle porte ce soir-là. Un rêve éveillé. Bien accroché.                                                                         

Mathieu Bellisario
Photos © Frédéric David