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Live reports / 10.09.2014

Les Rendez-Vous de l’Erdre

Dernier événement de l’été nantais avant la rentrée scolaire, les Rendez-Vous de l’Erdre sont une fête musicale et nautique, avec une centaine de concerts et plus de deux cents bateaux de toutes sortes rassemblés sur l’Erdre. Il faut y associer le train puisque pour la première fois les villes de l’Erdre participant au festival sont reliées par le tram-train inauguré en février dernier, avec animation musicale dans les wagons, notamment par Cyril Trochu au piano.

L’inauguration musicale et fluviale a lieu le jeudi à Nort-sur-Erdre. Nous y arrivons en même temps que les bateaux et pour la fin du concert des Millimeters, groupe instrumental dédié au répertoire des Meters. Pas facile de chauffer un espace ouvert et venté mais le son chaleureux et la sincérité du groupe nous mettent en mouvement. C’est au pied de la grande scène que Philippe Audic, Président du festival, ouvre l’édition 2014. Les bateaux sont dans le bassin, les badauds sont autour, les stands de nourriture tournent à plein, les spectateurs se rassemblent, terrain idéal pour les Sand Sisters, trio vocal résolument posté sur le créneau “Andrew Sisters”, dont le répertoire est repris avec enthousiasme, mélangé à d’autres succès de Glenn Miller. Une section de cuivres donnerait encore plus de puissance et d’attrait. À noter la présence de l’excellent Gabor Turi à la batterie. En clôture, le Redstar Orkestar envoie un set de cuivres et tambours quelque part entre l’époque “indé” et les fanfares si populaires en Serbie. Normalement ça dégage fort mais la sonorisation hésitante empêche d’en profiter pleinement. À revoir vite.

 


The Millimeters

 

 


The Sand Sisters

 


Redstar Orkestar

 

Lorsque Jimmy Johnson parait à la cantine du festival le vendredi midi, personne ne veut croire qu’il est dans sa 86e année. L’homme a l’air en forme, ce qu’il confirmera lors d’une interview à lire dans un prochain numéro de Soul Bag et surtout le soir sur la scène blues. Celle-ci est ouverte par l’enthousiasmant groupe vendéen Nomad, spécialisé dans les reprises soul millésimées. Sans complexe, mais avec talent, ils attaquent par It’s a man’s world, un titre lent, de surcroît du Godfather lui-même, et ils le font bien ! Le chanteur saxophoniste Thomas Rambeau n’a peur de rien, son nom le suggère, et a dû tomber dans une marmite d’Otis Redding quand il était petit. Car, si le groupe parcourt les catalogues King, SAR, ABC, Motown, Stax, Hi et autres pour reprendre James Brown, Sam Cooke, Ray Charles, Sam & Dave, Al Green, c’est bien Otis que Thomas évoque le plus avec un naturel qui laisse pantois. Teddy Perraudeau à la guitare, François Gilbert aux claviers, David Monnier à la basse et Maxime Gilbert à la batterie, sont au diapason et le temps va passer trop vite. On aurait aimé les voir avec leur section de cuivres complète pour porter l’estocade dans les tensions détentes déjà bien gérées en l’état. Ils sont jeunes, élégants, talentueux, ils mènent plusieurs projets musicaux en parallèle, pour étancher leur soif de reprises et leur envie de produire un répertoire personnel, c’est un groupe à surveiller de près.

 


Nomad

 

La scène est chaude, Anthony Stelmaszack, Julien Brunetaud, Antoine Escalier et Fabrice Bessouat vont finir la montée en température avec deux titres avant que Jimmy Johnson les rejoigne. Disons-le de suite, la claque va être énorme. Petit à petit Jimmy va monter en puissance et nous projeter dans son univers, sans esbroufe, mais avec gentillesse, feeling, chaleur, humour, toucher à la guitare, les doigts sont encore très agiles, et ce velouté acidulé au chant. Little by little, Chicken heads, You don’t know what love is, avec Jimmy on évite les travers des tournées de ce genre. Oui, ils jouent des classiques du Chicago blues, mais ce sont ceux de son répertoire, extraits des disques que nous connaissons par cœur. Entendre et voir ça sur scène tient du fantasme. Le public est conquis, qui fait entendre des grondements de plaisir, venus du fond des corps et des âmes. Julien et Anthony entourent le maître de solos étincelants, jouant avec lui, pas derrière lui, il les encourage d’ailleurs et cette complicité fait plaisir à voir. Fabrice et Antoine livrent une rythmique efficace, sobre, à la fois sèche et souple, leurs yeux fermés et leurs sourires laissant deviner leur propre plaisir. Ce soir le blues frappe à la porte de Nantes. En fin de concert, Jimmy invite Karl W. Davis à partager le dernier morceau au chant, ainsi que le rappel, medley de Dust my broom et Sweet home Chicago. Le retour à la maison se fait en apesanteur.

 


Jimmy Johnson pendant la balance

 


Anthony Stelmaszack

 


Julien Brunetaud

 


Fabrice Bessouat

 


Antoine Escalier

 


Jimmy Johnson et Karl W. Davis

 

Le lendemain matin, les disques de Jimmy Johnson défilent sur la platine pour se convaincre que le miracle a bien eu lieu la veille. Il est alors temps de retourner sur place pour lancer le tremplin blues 2014, ce qu’a le redoutable honneur de faire Big Matth en début d’après-midi. Accompagné par Lonj à la basse, Damien Daigneau aux claviers et Hugo Deviers à la batterie, le Luxembourgeois établi à Bordeaux livre un très bon set de blues contemporain, avec une bonne base de compositions originales, entrecoupées de passages country. Il commence en acoustique avant de passer à l’électrique, ce qui rompt un peu l’unité de sa prestation, mais il est bon chanteur et bon guitariste, il attire le public, et il ne lui manque pas grand-chose pour atteindre l’excellence. À revoir sur une scène bien chaude.

 


Big Matth

 

Deuxième candidat, Bluetrail rassemble des musiciens chevronnés dont certains officient habituellement dans d’autres registres que le blues. Ici, ils passent des classiques de Chicago ou du swamp dans un filtre blues rock, chantés alternativement par Eric Bolo (vo, hca, perc) et Daniel Glikmans (vo, g). C’est musicalement appliqué, peut-être trop, ce qui peut nuire au feeling. Leur set est agréable et on ne verra pas le temps passer.

 


Bluetrail

 

Les Nanto-Rennais de The Big Shot leur succèdent, élégants et souriants, avec toujours David Avrit au chant et à la batterie, Max Genouel au chant et à la guitare, Antoine Quenet-Renaud à la contrebasse, Martin Baudouin au piano, Thomas Croguennoc au saxophone et le nouveau venu Simon Pelé à la trompette. Le temps s’est arrêté pour eux aux années 1940 et 50 mais ils les connaissent bien et proposent des reprises peu courantes de Melvin Smith, Amos Milburn, Joe Liggins ou Andre Williams. Ils les jouent avec un naturel confondant, multipliant les stop and go malicieux, échangeant les solos, mention particulière à ceux de Max à la guitare, mais Thomas sait aussi honker dans le ton, tandis que Simon apporte un bon complément à la trompette qu’il bouche avec à-propos. Ça flotte parfois entre les morceaux, ceux-ci pourraient être plus longs, comme sur l’excellente reprise de Bacon fat, autant de voies à explorer pour un groupe dont le potentiel semble très important.

 


The Big Shot

 

Pendant toute l’après-midi, en parallèle des concerts, la flotte nautique remonte l’Erdre pour rejoindre le bassin Ceineray.

La soirée est dévolue à Raphael Wressnig and the Soul Gift Revue, avec Deitra Farr au chant, Enrico Crivellaro à la guitare, Silvio Berger à la batterie, Horst-Michael Schaffer à la trompette et un saxophoniste néerlandais. On est une fois de plus abasourdi par l’énergie de Raphael et ses complices. En ouverture instrumentale, Raphael revisite ses disques avec Slivovitz for Joe, Banana boogaloo et A change is gonna come, mettant en valeur les qualités instrumentales de chacun. Enrico sait tout faire à la guitare, les cuivres sont pertinents et Raphael est un monstre à l’orgue Hammond B3, arpèges dans les doigts, basses avec le pied, nous sommes entre le jazz, la soul et le rhythm and blues, le décor est dressé. Lorsque Deitra Farr parait, voix puissante, sourire enjôleur, feeling débordant, l’entrée de l’Île Versailles, où se trouve la scène, est transformée en un club à l’atmosphère moite, torride, dont nous ressortirons essorés. Le répertoire emprunte à “Soul Gift” et Deitra interprète aussi ses propres titres ou d’autres enregistrés avec Mississippi Heat. Le final voit d’abord Raphael tirer le maximum de son orgue dans diverses positions. À Villerupt en 2013, il y avait mis le feu, ici, s’agissant d’un orgue de location, peut-être a-t-il voulu le ménager. De fait, il lui a juste marché dessus. En rappel, un instrumental et un Bright light big city transformé à mi-course en The blues is alright finiront de rassasier un public conquis.

 


Deitra Farr

 


Deitra Farr et Enrico Crivellaro

 


Raphael Wressnig

 

 

Le dimanche commence avec le Blues Organ Combo de Julien Broissand, ses deux compères aux noms fantaisistes sur le programme n’étant autres que Denis Agenet à la batterie et Philippe Gautier à l’orgue. Trois quarts des Bad Mules, c’est la qualité garantie, et le seul problème de ce blues brunch sera pour les gens de la sécurité amenés à canaliser la foule au passage des trams. Swing, feeling, Julien et Denis au chant, invités (François Nicolleau, Karl W. Davis), le temps va passer vite et nous devrons partir avant la fin pour ouvrir la deuxième phase du tremplin, non sans admirer les bateaux qui repartent pour Sucé-sur-Erdre.

 


Blues Organ Combo

 

 

The Kid Colling Cartel occupe le difficile premier créneau de l’après-midi, quand le grand public n’a pas encore rempli les rues, mais le devant de la scène se comble finalement vite tant le groupe est talentueux. Colombien d’origine et basé au Luxembourg, Steph Colling est un chanteur compositeur guitariste sensible, doté d’un gentil contact avec le public. Blues électrique, tirant vers une ambiance plus feutrée sur sa belle composition The blues got me first, gorgé de feeling sur une belle reprise de Worried life blues (annoncée être un titre de Robben Ford…), la musique du groupe est cohérente dans ses variations. On aimerait juste un peu plus d’exubérance, être emporté par une ou deux envolées de guitare, ils en ont le potentiel ! 

 


The Kid Colling Cartel

 

Le public va ensuite réagir très vite à la présence scénique de la chanteuse N’Deye au sein du Three Generations Blues Band, composé de figures du blues nantais, François Nicolleau et Laurent Marhic aux guitares, Philippe Bertrand à la basse, Laurent Charbonnier au piano et Patrick Broissand à la batterie. Trois générations par l’âge, mais une seule par l’allant et le talent, le groupe n’est pas si vieux, N’Deye n’étant là que depuis peu et Laurent ne les ayant rejoints qu’avant l’été. Le travail a payé et malgré un peu de fièvre et d’hésitation, le show va être au niveau. N’Deye a le sens du public et en joue avec malice, François est une des deux meilleures gâchettes de la région, l’autre étant Max Genouel vu la veille, Laurent M est solide en rythmique et bluesy dans ses quelques solos, Laurent C est une découverte aux claviers, et Philippe et Patrick pompent le rythme comme il faut. Blues, rhythm and blues, reprises de Jimmy Reed, Nina Simone, Ann Peebles, incursions jazzy avec Route 66 et Fever où la voix légèrement voilée de N’Deye excelle, joie de jouer, réponse enthousiaste du public, ça sent le succès !

 


N’Deye & The Three Generations Blues Band

 


N’Deye

 

Les Magic Monkeys clôturent la compétition avec leur rhythm and blues funky, emmenés par Kevin Guégan, guitariste chanteur, vu dans le passé avec le Kevin Texas Band. Le spectacle est réglé finement avec un premier titre sans guitare, Kévin plaçant la barre vocale à un niveau ambitieux. Les cuivres, Valérian Langlais et Maxime Jaslier, y vont de leurs pas de danse, le clavier Sébastien Billon est en contrepoint, et la rythmique de Loïc Plouhinec et Philippe Perrin est solide. Kévin aime parler au public et sait l’attirer comme sur l’historiette amusante en introduction d’un titre dédié à B.B. King. Il l’orne d’un solo “à la façon de” très réussi ce qui fait regretter que le groupe n’aille pas plus loin dans le blues, pour y profiter de son talent musical et de sa puissance.

 


Magic Monkeys

 

Il est alors l’heure pour le jury de délibérer puis d’annoncer les résultats : N’Deye and the Three Generations Blues Band remportent le premier prix et joueront donc en vedette lors des Rendez-Vous de l’Erdre 2015. The Big Shot sont deuxièmes et gagnent un soutien financier pour enregistrer en studio. The Magic Monkeys emportent le troisième prix, soit un an de soutien de la part de France Blues. Les prix spéciaux sont attribués à N’Deye and the Three Generations Blues Band pour France Bleu Loire Océan et le Léon’s Blues Festival, The Big Shot pour le Montfort Blues Festival et Soul Bag, et The Kid Colling Cartel pour le SoBlues Festival.

Il faut se remettre de ses émotions, ce que va nous aider à faire le vainqueur du tremplin 2013, Thomas Ford, en pleine forme, avec un set malheureusement court, au service d’un répertoire désormais connu après tous les concerts donnés en France depuis l’été dernier. Qu’importe, la sincérité et l’énergie opèrent et Thomas confirme qu’il est désormais une valeur sûre du blues européen. Il annonce un nouveau disque dans quelques mois, il ne reste plus qu’à attendre.

 


Thomas Ford © Fred Delforge

 

C’en est fini pour la scène blues de l’Île Versailles mais pas pour le blues lui-même puisque, nouveauté 2014, le genre investit la grande scène nautique en clôture du festival. Jean-Jacques Milteau et le groupe anglais 24 Pesos vont nous emmener doucement jusqu’en fin de soirée avec un blues moderne, mêlant le son instantanément reconnaissable de Jean-Jacques et celui plus rock, plus dur des 24 Pesos, redoutables d’efficacité et de punch. Jean-Jacques fait le maître de cérémonie et Julian Burdock (vo, g) prend le lead au chant. La volonté est clairement affichée de faire le lien avec le British blues et son apport à la mondialisation du blues, ce qui vaudra des clins d’œil aux musiciens représentatifs du genre, dont les Rolling Stones avec un Miss you qui s’invite au milieu d’un autre morceau. La nuit est belle, l’eau de l’Erdre est calme, la scène posée sur l’eau est illuminée, dans une position qui crée une certaine distance avec le public alors que la qualité de la musique donne envie d’être aux pieds des musiciens.

 

 

La voiture est garée loin, le temps de la rejoindre à pied permet de redescendre doucement et repasser dans sa tête tous les moments forts qui sont déjà des souvenirs.

Texte et photos : Christophe Mourot