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Live reports / 10.06.2011

CHICAGO BLUES FESTIVAL 2011 (& MORE)


Shemekia Copeland

Déficits budgétaires abyssaux, sponsoring en baisse, l’édition 2011 du festival de blues de Chicago a revu ses ambitions à la baisse en se recentrant sur ses bluesmen fondamentaux – mais la municipalité ne peut plus se payer un Buddy Guy, par exemple – tout en maintenant la gratuité de l’événement. Heureusement, les “suspects habituels” furent très bons et le public au rendez-vous, spécialement le dimanche, météo plus clémente aidant (on était passé brutalement d’une vague de chaleur écrasante à un froid pluvieux, venteux et proche des records de 1933 !).

(sauf mention, photos © Brigitte Charvolin)

 

Vendredi 10 juin

Guy King. Le distingué chanteur-guitariste a la guitare élégante (style B.B. King des 70’s) avec un “little big band” qui le souligne sobrement. Plaisir.

Eric Davis & The Troublemakers. Ce jeune pilier afro-américain de Chicago fait songer à Luther Allison pour son punch et ses solos enflammés.


Guy King


Eric Davis

Holle Thee Maxwell. Caricature flamboyante de la diva à la Tina Turner. Problème : ventripotente, elle est plutôt enveloppée et se prend tellement au sérieux dans un répertoire double entendre au premier degré, quand on ne subit pas Proud Mary, la scie-type des copistes de bas étage. Mais les photographes l’aiment bien. Maurice John Vaughan (g) dirige les costumes blancs de l’orchestre (à quoi sert l’harmoniciste au cigare, sinon à danser ?).


Holle Thee Maxwell


Holle Thee Maxwell et Maurice John Vaughn (g)

Rockin’ Johnny. Son retour live est excitant même si son jeu de guitare “vieille école” (pensez Little Smokey Smothers) est irrégulier : au moins, il est inventif et culturel.

Mary Lane, monotone (que lui trouve-t-on ?) aborde un non-répertoire habituel. Seul Smiley Tillman (g, vo) sue ses tripes : il n’est pas toujours juste, mais convaincant en bluesman du West Side.


Mary Lane et Rockin' Johnny © André Hobus


Smiley Tillman

Nora Jean (ex-Bruso). Chanteuse dynamique qui, hélas, choisit mal son répertoire : la soul (surtout en ballade) ne lui convient pas (et au groupe non plus, d’ailleurs).

Sam Lay (vo, g). Bon gros Chicago blues avec des accompagnateurs rodés, dont Bob Corritore (hca) et le vétéran Bob Riedy (kbd). Mais son double shuffle à la batterie me manque.


Nora Jean


Sam Lay (assis) & band feat. Bob Corritore (hca) © André Hobus

Killborn Alley Blues Band. Des post hippies qui redécouvrent la soul des 60’s. Ils sont plus crédibles en Chicago blues.

 Eddie Cotton. Grand auditorium pour le Mississippien dynamique (vo, g), qui a compris les exigences festivalières de boogie, de bon temps et de tempos endiablés, soutenu par un groupe saignant, lui-même excitant à la guitare blues bien sentie. Voilà une tête d’affiche bien ignorée chez nous.


Eddie Cotton


Jarekus Singleton (g) et Derrick Martin (dm)


Eddie Cotton

 

Samedi 11 juin

Humidité et basses températures auront raison de notre stoïcisme dans le parc (mais le club Reggie’s nous réconfortera chaudement).

Dave Herrero & The Hero Brothers Band. Voilà bien un guitariste-chanteur sous-estimé alors qu’il est juste, précis et crédible. Ah, s’il pouvait améliorer son répertoire, par trop traditionnel.

George Stancell. C’est le bluesman besogneux type, sympathique en diable, à qui on pardonne beaucoup tant il y croit et y met du cœur ; une guitare accordée avant serait tout de même la bienvenue.

Willie Buck (vo) (le Mary Lane masculin ?) assure dans un trois-pièces cravate parme.


George Stancell


Willie Buck

Dexter Allen (vo, g). Bonne surprise ! Tout en sobriété et dextérité, ce jeune bluesman nous a capturés à chaud, plus “tripes” qu’en CD.

Tribute to Pinetop Perkins. Ou le plaisir de retrouver les “suspects habituels” en forme, avec un Barrelhouse Chuck (p) tout en culture Chicago. Billy Flynn, Rick Kreher (g), Bob Stroger (b), Kenny Smith (dm), Billy Branch, Bob Corritore (hca)…


Dexter Allen

Charles Hayes (vo, g). Ça manque d’huile dans les accords et sa chanteuse, Miz El, au non-répertoire Rock me baby, me fait fuir avec Proud Mary.

 Lurrie Bell. En acoustique ? Oui, à la dobro, accompagné par nos briscards. Mais cela me paraît anecdotique tant son “truc”, c’est vraiment la bonne vieille Gibson B.B. King, non ?

Rob Blain’s Big Otis Blues. Aussi “volumineux” que son CD ; quel intérêt ? Je décroche.


Charles Hayes et Miz El © André Hobus


Rockin' Johnny, Lurrie Bell, Bob Stroger © André Hobus

 

Dimanche 12 juin

Brunch traditionnel au Jazz Mart de Bob Koester. Le remugle donne de la  saveur à Dave Specter (jeu aseptisé), James Kinds, Eddie C. Campbell, Tail Dragger et autres Rockin’ Johnny rencontrés un jour ou l’autre sur Delmark.


Dave Specter, Tail Dragger, Harlan Terson © André Hobus


Eddie C. Campbell © André Hobus

Retour au festival. Jimmy Burns (vo, hca, g). L’omniprésent “invité surprise” des clubs paraît en forme et fait plaisir à voir.

Nellie “Tiger” Travis. Outre le prix de la chanteuse la plus mal habillée (avec Holle Thee Maxwell, tout de même), elle me déçoit, elle qui prétendait au titre de successeur officielle de Koko Taylor. En soirée, son interprétation a cappella de l’hymne national montrera (vite) ses limites.


Nellie “Tiger” Travis

Nick Moss. Oublié ici son flirt discographique avec le blues rock britannique : retour aux fondamentaux, avec Curtis Salgado (vo, hca) en tandem. Ça déménage bien et juste, même si, à mon avis, Salgado est encore meilleur en soul.

Memphis Gold. Une présence, une voix du Delta, un beau sound de Gibson et un soutien rythmique efficace… C’est une découverte qui, live, passe mieux que le CD.


Nick Moss et Curtis Salgado © André Hobus


Memphis Gold © André Hobus

Mud Morganfield. La ressemblance physique, la voix, les mimiques jusqu’aux clignements d’yeux, le style Mississippi-Chicago dans les gênes, tout en ce chanteur évoque naturellement son père Muddy Waters. Et Harmonica Hinds joue lui aussi la continuité. Survient alors Bob Corritore, aussi producteur du prochain CD de Mud, et le set tourne à la fête, avec duels complémentaires. Wow !

John Primer. A chaque prestation avec son groupe, le guitariste-chanteur symbolise pour moi LE blues de Chicago, comme il doit être joué : punch et feeling, action-détente excitante. Russ Green (hca) assure. Quel plaisir !

Tom Holland. Largement sous-estimé (sauf par James Cotton, qui en a fait son leader), ce bon guitariste (mais chanteur banal) a le sound, le timing et le toucher justes. À suivre.


Bob Corritore et Mud Morganfield


John Primer


Tom Holland © André Hobus

Shemekia Copeland. Ça, c’est du chant ! Puissant, nuancé et sans concession quant à ses mentors, elle possède au moins un répertoire perso, même si, parfois, Arthur Neilson (g) joue trop rock à mon goût. Le final fut à la fois grandiose, émouvant, kitsch et sourire en coin quand Cookie Taylor, fille de Koko, entourée de Mary Dixon, veuve de Willie et représentant la Blues Foundation et une fille de Jimmy Reed (autre fondation) la couronna “officiellement” “Nouvelle reine du Blues” en la ceignant de la tiare de sa mère, apportée dans un sac en papier brillant, genre cadeau de Noël. Embrassades et larmes de circonstances, la “garde rapprochée” étant constituée de maman, Bruce Iglauer (qui la lança) et John Hahn, son manager-parolier, suivie d’une proclamation mayorale. J’imagine que certaines prétendantes ont grincé des dents.


Shemekia Copeland


Arthur Neilson


Mary Dixon, une fille de Jimmy Reed, Cookie Taylor, Shemekia Copeland © André Hobus

Enfin, le 40e anniversaire de l’existence de la marque Alligator fut l’occasion (réussie) d’un show assez représentatif et bien réglé par son fondateur Bruce Iglauer (jusqu’à le retrouver discrètement posté derrière un baffle pour s’assurer du timing… Ah, je le reconnais bien là !). Se sont succédés  sur fond du groupe de Wayne Baker Brooks : Eddy Clearwater (vo, g), favorisant alors son blues West Side ; Rick Estrin (vo, hca), très 50’s façon Sonny Boy II, avec solo sans les mains ; Michael Burks (vo, g), toujours aussi Sud profond et, enfin, Lonnie Brooks (vo, g) et ses deux fils (Wayne & Ronnie) bien balançant et tout heureux d’être cité à l’ordre du jour par un représentant du maire. La surprise fut double puisqu’une deuxième proclamation saluait le travail « visionnaire » (sic) du label et de son créateur. Mais, à son image, il n’y eu ni party ni manifestation privée quelconque, le mot d’ordre étant : « Au travail pour les quarante prochaines années ! »
André Hobus

Sauf mention, photos © Brigitte Charvolin


Eddy Clearwater


Rick Estrin


Michael Burks


Wayne Baker Brooks et Lonnie Brooks


Eddy Clearwater, Shemekia Copeland, Michael Burks, Rick Estrin


Eddy Clearwater, Lonnie Brooks et Michael Burks

 

En concomitance avec le festival, des clubs font des efforts de programmation tandis que la ville offre des concerts de blues – considéré alors comme un art – en son centre culturel. Un aperçu.

8 juin 2011

La soirée de bienfaisance au Legend’s attire toujours son lot de spectateurs et sponsors, peu au fait des bluesmen qui y participent, malgré un beau plateau, trop “tournant” à mon goût : chaque participant y fait deux ou trois tours de scène et cède sa place au suivant, maladroitement présentés par un animateur de radio nous imposant même son chant. De même, ma chronique ne tiendra pas compte de deux noms à oublier au plus vite, qui plus est, se reproduisent d’année en année sans progrès aucun. Allons donc à l’essentiel.

Vino Louden (vo, g), ex-Koko Taylor, ne semble pas avoir repris à 100 % la mobilité et l’expertise dont il faisait preuve avant l’accident de voiture du groupe. Qu’il était vif et punchy en vedette ou derrière la chanteuse.

The Brooks Family Blues Dynasty. Wayne et Ronnie Baker Brooks favorisent un rock brut que je n’aime pas mais sont impeccables et plein d’attention derrière leur papa Lonnie, en forme et, au moins, personnel.


Vino Louden © André Hobus


Wayne Baker Brooks, Lonnie Brooks, Ronnie Baker Brooks © André Hobus

Nellie “Tiger” Travis. L’an passé, j’y croyais ; plus maintenant. Une autre chanteuse de bastringue au non-répertoire, pas toujours juste et se prenant pour une diva qu’elle n’est pas.

Nick Moss (vo, g). Devenu physiquement imposant, son jeu en vaut la chandelle et Curtis Salgado (vo, hca) lui apporte la raucité “Chicago”. Cependant, il me semble restreint dans ce rôle (pour l’avoir vu prendre en main l’orchestre d’Etta James, j’en témoigne).


Nellie “Tiger” Travis © André Hobus


Nick Moss et Curtis Salgado © Brigitte Charvolin


Nick Moss et Matthew Skoller © André Hobus

Matthew Skoller (vo, hca) et Billy Branch (vo, hca) sont aussi de la partie. Mais c’est ce dernier qui remporte (déjà) mes suffrages tant il affiche une belle maturité. Aurait-il le don d’ubiquité ? Il sera partout à Chicago, avec la même verve et créativité. Et encore, je manquerai son set cuivré dans Grant Park, pour cause de froid et d’humidité.

Carlos Johnson (vo, g). Sous-estimé, entre Albert King et Otis Rush, il tend son jeu dramatique sans (trop) tomber dans d’interminables solos. Billy Branch revient (déjà !).

Deitra Farr (vo). Son ambition, c’est d’être elle-même et elle y arrive. Belle complicité avec Lurrie Bell (g).

Tribute to Pinetop Perkins : on se reportera à mon compte rendu du festival et à la soirée du Space.


Carlos Johnson © André Hobus


Billy Branch © Brigitte Charvolin


Billy Branch et Carlos Johnson © Brigitte Charvolin


Lurrie Bell et Deitra Farr © André Hobus


Kenny Smith © Brigitte Charvolin


Willie Hayes © Brigitte Charvolin

 

11 juin

Se posant en concurrent plus “authentique” (sic) du Legend’s pendant le week-end du festival, le Reggie’s propose deux soirées thématiques : l’une consacrée aux chanteuses (dont Holle Thee Maxwell, plus délurée encore que dans le parc, paraît-il), l’autre, dédiée au West Side. C’était là notre choix. Il est vrai que Cadillac Zack (absent) sait y faire : un house band de choix (Twist Turner, dm ; Rick Kreher, g ; Scott Dirks, hca…) et des invités “maison” avec qui la sauce prend : Rockin’ Johnny, Mary Lane, Eddie C. Campbell, Tail Dragger… Le niveau monte encore avec James Kinds (g, vo) et son groupe, terminant dansant parmi ses fans.

 

10 juin

SPACE, dans Evanston, banlieue village très agréable de l’extrême nord de Chicago, programme du blues pendant le festival, mais en concurrence, pour l’amateur, avec d’autres clubs de la ville. Exit la soirée “guitare” avec Jimmy Dawkins et Jody Williams ; mon choix se porte sur le Tribute to Pinetop Perkins. Ou le plaisir de retrouver Erwin Helfer en soliste, toujours entre jazzy blues et boogie (mais vieillissant, tout de même) et, surtout, Barrelhouse Chuck, une encyclopédie culturelle pianistique de Chicago, qui a tout assimilé de ses maîtres : Sunnyland Slim, Otis Spann, Big Moose Walker… Ici, il n’est “que” accompagnateur des Smith, père (vo, hca) et fils (dm, il s’essaie au chant), Little Frank (g, plutôt effacé) et Bob Stroger (b), souriant de contentement dès que le répertoire “roule”. Du bonheur, vous disais-je, seulement contrarié par une très jeune chanteuse soliste acoustique à la Ruthie Foster, douée, certes, mais hors sujet ici.

 

30 mai

Magnifique auditorium en plein air, au Millenium Park, œuvre du célèbre architecte contemporain Frank Gehry. Enorme scène, programmation éclectique. Ce soir : Andre Williams. Portant toujours beau, l’ex-leader (1957) des Five Dollars-Don Juans de Detroit interprète avec aplomb et compétence son R&B rabelaisien, entouré de solides accompagnateurs mais sans les go go girls de l’an passé. Un bon moment.

 

28 mai

Le Legend’s annonce les Cashbox Kings et Eddie C. Campbell. Belle affiche. Effectivement, les premiers sont toujours une surprise : qui va servir le sympathique Joe Nosek (hca, vo) et son chanteur agréable, Oscar Wilson ? Ce soir, nous sommes ravis : Jimmy Sutton (ctb), Billy Flynn (g, mandoline) et mon jeune guitariste préféré, Joel Paterson. Venu du néo rockabilly et R&B via les Four Charms du même Sutton, il s’affirme pleinement au sein des Modern Sounds dont nous avons dit tout le bien dans nos colonnes. Distingué, subtil et cultivé, son jeu est précis, clair, inventif et bien construit. Déjà la veille, dans un obscur resto bio, il nous avait à nouveau charmés (13 personnes, dont les connaissances) en trio mélodique. Un défaut ? Il est trop propre mais m’excite davantage que Dave Specter.

Eddie C. Campbell, avec des accompagnateurs qui semblent déterminés cette fois à faire vivre son éternel répertoire, sonne donc en forme et fête dignement son 72e anniversaire avec son épouse, enfants, du gâteau à la crème, des bougies et son fan n°1, le producteur Dick Shurman. Ça fait plaisir, tout de même.

 

En marge du festival mais en conjonction, même le journal Chicago Tribune a voulu fêter les 40 ans d’existence d’Alligator en organisant une émission de radio publique depuis la petite salle du théâtre “Chicago” dans State street. En compagnie de ses chroniqueurs vedettes, Howard Reich et Rick Krogan, à la voix bourbonnée et enfumée comme l’étaient les clubs, nous eûmes droit à quelques interviews-anecdotes sur Koko Taylor et des mini sets d’Eddy Clearwater, Billy Branch, Shemekia Copeland (en duo avec son guitariste, un régal !), Bruce Iglauer, bien sûr, entrecoupés de vannes virulentes sur l’actualité politique, lancées par les comédiens du groupe Second City. Savoureux !


Howard Reich, Shemekia Copeland, Billy Barnch, Eddy Clearwater © André Hobus

Enfin, le talentueux Bob Riesman, auteur de la toute récente biographie de Big Bill Broonzy, se lançait dans ses premières lectures publique et promos, notamment en compagnie de Bruce Iglauer, après une représentation de Workin’, un musical très visuel consacré à l’œuvre du journaliste syndicaliste de gauche, Studs Terkel. Quel bel anniversaire !
André Hobus