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Live reports / 04.02.2012

28th INTERNATIONAL BLUES CHALLENGE

Le mercredi 1er février, c'était plus de 200 formations présentées par des “blues society” du monde entier (très majoritairement états-uniennes, bien sûr) qui se produisaient dans une vingtaine de clubs de Beale Street et des proches environs. Après trois jours de concerts intensifs devant un public nombreux et un jury constitué de professionnels du milieu, il en restait dix-sept pour se disputer la finale du samedi : neuf dans la catégorie groupe, huit dans celle des solo/duo. Sur la grande scène du prestigieux Orpheum Theatre, chacune disposait de vingt minutes (et pas une de plus) pour convaincre. Les groupes ouvraient les hostilités.
 


© J. Périn

Ça commence sur les chapeaux de roues avec Mikey Jr. & the Stone Cold Blues. Harmoniciste efficace, très dynamique dans ses interventions, Mickey Jr. est un honnête chanteur et surtout un bon showman qui sait occuper la scène. Privilégiant tempos rapides et shuffles, son quartet néglige cependant trop la tension-détente (batteur à la frappe lourde) alors que le guitariste virtuose est capable de beaux éclats quand il calme son jeu. Très classique mais de bon niveau.


Mikey Junior (à l'harmonica) & Stone Cold Blues

Est-ce dû au stress de vouloir tout dire et tout prouver en si peu de temps ? À la tête d'un trio, le jeune Noah Wotherspoon oublie de faire respirer son jeu (flagrant sur le Lookin' good de clôture). Technique mais sans travail de sonorité, il a tendance à tartiner sur sa six cordes et fait du tort à ses louables intentions (bon solo Westside, reprise de Hound Dog Taylor). Présenté sur le papier comme un “prolific songwriter”, il est hélas impossible d'en juger : trop de guitare et un chant plat.


Noah Wotherspoon

Le Sherry Pruitt Blues Project commence par bétonner en suffle mais prend ensuite le temps d'exposer les qualités de ses deux guitaristes. Solos inspirés et belle interaction sont de mise dans un répertoire aux accents soul et funk. Dommage que la chanteuse force tant sa voix et verse trop souvent dans les sempiternels growls “kokotayloriens”.


Sherry Pruitt Blues Project
 

Attention bûcheron ! Voix qui braille, guitare tout en force et rythmique monolithique : avec Bart Walker et sa panoplie de clichés rock, on touche le fond de la banalité. Des chansons ? Du blues ? Pourquoi faire quand jouer trois notes la guitare dans le dos suffit à faire lever le public…


Bart Walker
 

Retour dans le vif du sujet quand The WIRED! Band entame son set en chantant a cappella le Grinnin' in your face de Son House. Ça fait du bien même si leur version proprette a des allures de veillée scout. Si le trio déploie un certain charme, c'est grâce au chanteur-guitariste Kevin Sutton qui capte l'attention en vivant à fond les morceaux, sans trop en faire, même lorsqu'il se ballade dans le public. Une assurance que ses deux compères ne partage pas à la rythmique, cruel point faible de la prestation.


The WIRED! Band
 

Avec son sax baryton, le quartet de Selwynn Birchwood apporte une touche d'originalité bienvenue. Hélas, on déchante rapidement face à un show trop brouillon. La guitare du leader est complètement couverte par le saxophone, le chant essaye de passer en force et, surtout, l'impression que chaque musicien joue sans écouter les autres en font au final un moment pénible. Leur blues funky nécessite un sérieux rodage.


Selwynn Birchwood et son sax baryton, Geri Oliver
 

Taylor Scott and Another Kind of Magick : le groupe le plus jeune de la soirée est aussi celui qui verse le plus dans la surenchère. Démarrage en trombe et enchaînement de plans clichés : en essayant de tout dire en deux minutes et en poursuivant au même rythme, les cinq gamins atomisent la moindre nuance sous des kilos de déballage technique. À un point qui frise le ridicule. Dur de supporter la bouillie servie par l'organiste comme le chant parodique et les gesticulations incessantes du leader-tartineur de guitare.


Taylor Scott
 

Contraint de prendre l'air pour s'en remettre, on rate une partie du set de Paula Harris. Dommage, car accompagnée de quatre musiciens compétents, dont un pianiste attentif, la chanteuse a du coffre et dégage une réelle présence au fil des morceaux. Malgré un léger manque de souplesse quand elle pousse sa voix, elle est l'auteure des plus intenses moments de l'après-midi.


Paula Harris avec Terry Hiatt (g) et Joey Fabian (b)

Dernier groupe en lice, le quartet de Lefty Collins enchaîne les shuffles musclés sans y ajouter ne serait-ce qu'une once de personnalité. Résultat ? Pas désagréable mais absolument rien de plus à en dire.


Lefty Collins avec Andrew Brasfield (hca) et Barry Wasserman (b)

Une finale “groupe” au niveau d'ensemble très décevant, d'autant plus surprenant que des formations pros comme Daddy Mack Blues Band, David Kimbrough Jr. ou encore Fred Chapellier côté français se sont fait éliminer avant.

Résultat du jury : première place pour The WIRED!, seconde pour Bart Walker et troisième pour Paula Harris.

C'est manifestement la “performance” scénique qui a primé parmi les critères de sélection, au détriment de l'originalité, de la tension-détente, du story-telling et du chant. Franchement dommage pour du blues. La finale solo/duo sera heureusement d'un tout autre acabit.
 


© J. Périn
 

Celle-ci début à 19 h 30 avec les huit "rescapés" des éliminatoires et selon les mêmes règles que pour les groupes : chaque participant dispose de vingt minutes et pas une de plus et les changements de plateau ne prennent pas plus de dix minutes, balance comprise. Trois maîtres de cérémonie se relaient pour introduire les concurrents, dont Jay Sieleman, le directeur de la Blues Foundation et par la très accorte Cassie Taylor, fille et bassiste d’Otis Taylor.

 

Lucious Spiller, venu de l’Arkansas, chante avec passion et tire le meilleur parti de sa guitare électrique cheap avec un jeu syncopé qui privilégie la tension-détente. Son répertoire mêle spiritual, country et soul (Rainy night in Georgia), mais le blues reste central dans les reprises (Red rooster, Cummins prison farm) comme dans sa seule compo originale (Blame on me) qui en appelait d’autres.


Lucious Spiller
 

La formule one-man band a encore de l’avenir, comme le prouve Randy McKay avec un tambourin au pied, une Gibson acoustique entre les mains et un harmonica en rack. C’est d’ailleurs à ce dernier qu’il réserve ses solos. Très personnelles, ses compositions s’orientent parfois vers la ballade, voire le ragtime. Sa version de At last, en hommage à Etta James, prend dans ce contexte acoustique une belle originalité.


Randy McKay
 

La palme de spectacle revient incontestablement à la paire D’Mar & Gill. Un percussionniste noir vibrionnant et bondissant et chanteur-guitariste blanc, slide et steel, tout aussi débordant de vitalité, voilà qui impressionne. Dommage que le chant soit un peu faible et, même si on applaudit la performance, on se lasse rapidement. Sans doute sont-ils victimes de ce format court qui concentre les effets dans un minimum de temps.


Chris Gill (de D'Mar & Gill)
 

Un syndrome qui frappe aussi Robert Sampson qui passe du piano, à la guitare électrique, puis à la guitare électro-acoustique à résonateur avant de devenir au piano… Heureusement, cela n’a pas l’air de le stresser et il s’en tire avec élégance et aisance, du style new-orleans de sa reprise personnalisée de Meet me with your black drawers on à l’autobiographique When my grandfather sings the blues. Sampson a même réussi à faire chanter la salle…


Robert Sampson
 

Nous connaissons déjà bien Dawn Tyler Watson et Paul Deslauriers, "sponsorisés" par la Montreal Blues Society. La guitare virtuose et teigneuse de Paul porte le chant incandescent de Dawn qui s’investit "body and soul". Peut-être trop soul d’ailleurs au goût du jury. En tout cas, une nouvelle fois, nous sommes bluffés par leur implication et l’originalité de leur démarche. Quand le talent se conjugue avec la grâce…


Dawn Tyler Watson
 

C’est un autre Canadien qui leur succède, mais présenté par blues society d’Arkansas. Ray Bonneville n’est pas non plus inconnu des scènes françaises. Chanteur-guitariste-harmoniciste, il évoque aussi bien Jimmy Reed que Bob Dylan dans des pièces personnelles. Son évocation de New Orleans (I’m the Big Easy) est des plus réussies.


Ray Bonneville
 

Spoons & Abel ont beau n’être que deux, ils dégagent autant d’énergie qu’un orchestre. Spoons à la batterie ou aux cuillers construit une structure rythmique qu’Abel "décore" à coup de riffs sauvages de guitares bricolées à partir de bidons ou de boîtes de cigares. Il pratique aussi le diddley bow. Leur Mississippi blues hypnotique s’oriente vers la "transe" chère à Otis Taylor.


Bill Abel (de Spoons & Abel)

Après le blues déjanté de Spoons et Abel, celui de Dr. Don Double Dose semble bien orthodoxe. Pianiste australien, Don Hopkins est venu avec son batteur et un répertoire qui se réfère à la grande tradition à travers des reprises de Brownie McGhee, Washboard Sam ou Professor Longhair. Le style barrelhouse retrouve de belles couleurs grâce à une technique longtemps peaufinée et une voix de shouter à la Big Joe Turner.


Don Hopkins (Dr. Don Double Dose)
 

Après une courte délibération, le jury a rendu son verdict attribuant la seconde place à Dr. Don Double Dose et la place d’honneur à Ray Bonneville (accompagnée d’un chèque de 1 500 euros et d’engagements dans divers festivals).

Variée et riche en découvertes, cette finale catégorie "solo/duo" a révélé une scène acoustique originale et aventureuse. Ce qui, après la déception de la catégorie "bands", nous a redonné espoir quant à la pérennité du blues.

 

Texte Nicolas Teurnier et Jacques Périn – Photos © Fred Delforge/Zicazic