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Brèves / 03.01.2012

2011, année crépusculaire

L’an 2011 restera particulièrement sombre pour nos artistes favoris, et comme le veut la période, la presse nationale cède ponctuellement à la rétrospective. Ainsi le quotidien Libération, qui vient de publier un article intitulé « Ces chanteurs et groupes qui n’ont pas passé l’année ». On y trouve certes Amy Winehouse et Gil Scott-Heron, personnalités incontournables car connues du grand public, mais nulle trace d’autres artistes disparus pourtant très influents. Le seul musicien plus ou moins lié à notre spectre retenu par Libération se nomme Gary Moore, c’est assez affligeant et cela écorne grandement le crédit de ce genre de sélection. Dommage, à nouveau, de passer à côté de l’objectif faute de considérer les fondations… Dès lors, malgré notre audience bien modeste, sans prétendre établir une quelconque liste « exemplaire » et tout en restant dans notre domaine, il nous semble opportun de saluer une dernière fois celles et ceux qui sont partis en 2011.

– Brian Rust, le 5 janvier à 88 ans. L’inventeur de la méthode, entendez celle de la discographie méthodique, de Jazz Records, qui enfantera d’autres « bibles » comme Blues Records, Gospel Records, Blues et Soul Discography

– Bobby Robinson, le 13 janvier à 93 ans. Durant plus de 60 ans, dans une ancienne chapellerie de Harlem, ce producteur a œuvré pour le R&B, le blues, la soul, le funk et le rap !

– Gladys Horton, le 26 janvier à 65 ans. Adolescente, elle lance avec des copines mutines un groupe qui ne sait pas encore chanter (les Casyniets, de can’t sing yet !), puis progresse vite pour fonder les Marvelettes.

– Clay Hammond, le 5 février à 74 ans. Formé au gospel, membre des Mighty Clouds of Joy, ce superbe chanteur s’orientera ensuite vers la soul, composant en outre l’inoubliable Part time love.

– Marvin Sease, le 8 février à 64 ans. Si vous voulez redécouvrir ce chanteur de soul sudiste, ressortez notre numéro 193 : il figure en couverture et fait l’objet d’un dossier complet.

– Eddie Kirkland, le 27 février à 87 ans. Il avait beau connaître la route mieux que personne, le baroudeur du blues est mort dans un accident de la circulation.

– Jack Myers, le 9 mars à 74 ans. Il fut un bassiste majeur du Chicago Blues lors de sessions aux côtés d’Earl Hooker, Buddy Guy, Junior Wells, Sonny Boy Williamson, Little Walter, Walter Horton, Robert Nighthawk, Koko Taylor…

– Big Jack Johnson, le 14 mars à 70 ans. « The Oil Man » a fait preuve d’une belle inspiration en passant de la viscosité du pétrole au glissement rageur du bottleneck sur les cordes de la guitare.

– West Virginia Slim, le 19 mars à 68 ans. Le parcours atypique d’Archie Himons, marqué par un lynchage du Ku Klux Klan, le mènera du blues au reggae et de la Virginie occidentale à l’Amérique centrale…

– Pinetop Perkins, le 21 mars à 97 ans. Plus de 80 ans d’activité musicale dont au moins 70 derrière son piano, Pinetop aura pulvérisé les records de longévité (mais pas seulement, hein ?).

– Lacy Gibson, le 11 avril à 74 ans. Entre les mains du bien nommé M. Gibson, la guitare n’était pas un objet mais un organe vital qui hurlait, pleurait, vibrait, pestait, chantait…

– Cornell Dupree, le 8 mai à 68 ans. Connu pour ses collaborations avec King Curtis et Aretha Franklin, ce guitariste de premier plan a aussi accompagné Sam Cooke, Donny Hathaway, Bill Doggett, Champion Jack Dupree, Big Mama Thornton…

– Gil Scott-Heron, le 27 mai à 62 ans. Sur scène comme sur disque, fragile mais toujours habité, il incarnait un maître de céans qui n’aura jamais connu le mal de mots.

– Rudy Williams, le 22 mai à 70 ans. Beale Street pleure son dernier témoin historique : le trompettiste était notamment de la partie lors de l’inauguration de la statue de W. C. Handy, en 1960.

– Calvin Scott, le 17 juin à 73 ans. « I’m Not Blind… I Just Can’t See » : titre de l’unique album de ce chanteur et pianiste soul dont la carrière aurait été plus notable sans un grave accident de la route qui brisa son élan en 1966.

– Amy Winehouse, le 23 juillet à 27 ans. Elle est morte à 27 ans, alors d’aucuns évoquent Robert Johnson, Jimi Hendrix, Jim Morrison, Janis Joplin, Brian Jones, disparus au même âge. Franchement, on s‘en fout, et qu’elle repose en paix.

– Jerry Leiber, le 22 août à 78 ans. Indissociable de Stoller, Leiber aimait rappeler que le duo écrivait d’abord des chansons pour s’amuser. Ben c’est bon à savoir, car ça marche.

– Nick Ashford, le 22 août à 70 ans. Ce n’est certes qu’une coïncidence, mais Ashford, décédé le même jour que Leiber, était lui aussi un compositeur remarquable (avec sa femme Valerie Simpson), notamment dans la soul et le R&B.

– Honeyboy Edwards, le 29 août à 96 ans. L’histoire retiendra que le dernier lien avec le blues originel a cédé au plus fort de l’été, comme s’il fallait davantage nous accabler.

– Wardell Quezergue, le 6 septembre à 81 ans. Le « Beethoven créole » a quitté la scène après avoir fondé le son moderne de La Nouvelle-Orléans grâce à d’exceptionnelles qualités d’orchestration.

– Willie « Big Eyes » Smith, le 16 septembre à 75 ans. S’il fallait brosser le portrait-robot du musicien archétypal du blues moderne de Chicago, il aurait sans doute les traits de Willie.

– Frank Driggs, le 20 septembre à 81 ans. À la tête d’une collection de plus de 100 000 photographies (principalement de jazz), il fut également producteur chez Columbia des deux albums de Robert Johnson.

– Sylvia Robinson, le 29 septembre à 75 ans. Après quelques confessions sur l’oreiller, la belle Sylvia s’est révélée une redoutable femme d’affaires, jouant même un rôle important dans l’émergence des courants disco et surtout rap.

– Marv Tarplin, le 30 septembre à 70 ans. Guitariste et compositeur découvert par Berry Gordy (président de la Motown) et Smokey Robinson, il deviendra logiquement un pilier des Supremes.

– George « Mojo Buford », le 11 octobre à 81 ans. Leader d’un trio à Chicago nommé Muddy Waters, Jr. il se retrouve sans crier gare au sein du combo du « vrai » Muddy, auprès duquel il reviendra souvent malgré quelques infidélités.

– John-Alex Mason, le 19 octobre à 35 ans. Les bluesmen de la jeune génération ont besoin de chefs de file, ils ont perdu un élément essentiel qui faisait partie des plus prometteurs.

– Heavy D, le 8 novembre à 44 ans. Mort lui aussi prématurément, le rappeur éclectique avait fini par côtoyer ce qui se fait de plus lourd dans le blues, en la personne de B. B. King.

– Jimmy Norman, le 8 novembre à 74 ans. Pas veinard le chanteur et compositeur des Coasters : il a composé des titres repris par Bob Marley et les Rolling Stones, mais sans jamais en percevoir les dividendes.

– Lee Shot Williams, le 25 novembre à 73 ans. Cousin des Smokey Smothers (Little et Big), ce beau chanteur dont la carrière mériterait d’être réévaluée savait surfer avec aisance du blues à la soul.

– Coco Robicheaux, le 25 novembre à 64 ans. Homme d’esprit (vaudou), réformé du Vietnam, connu pour son timbre écorché qui était sa marque, Robicheaux avait d’autres cordes à son arc comme la peinture et la sculpture.

– J. Blackfoot, le 30 novembre à 65 ans. Voyou dans ses jeunes années, Blackfoot a su s’assagir pour s’imposer parmi les très bons chanteurs soul au sein d’une génération où ils ne manquent pourtant pas.

– Howard Tate, le 2 décembre à 72 ans. Un autre très grand de la soul « traditionnelle » nous a quitté en cette fin 2011 en la personne de Tate, qui avait émerveillé les audiences depuis sa redécouverte il y a une dizaine d’années.

– Hubert Sumlin, le 4 décembre à 80 ans. Élégant, racé, lumineux, novateur, les mots manquent pour qualifier le jeu d’un guitariste les plus influents de son temps.

Daniel Léon