;
Live reports / 09.08.2012

14ème FESTIVAL INTERNATIONAL DE BOOGIE WOOGIE

 
Eeco Rijken Rapp et Chase Garrett

Oui, le pianiste Jean-Paul Amouroux, concepteur, animateur et directeur artistique du plus important festival de boogie woogie au monde, mérite les félicitations chaleureuses – et ce malgré les 30° C et plus durant les quatre jours – du nombreux public enthousiaste. Deux poids, deux mesures : alors que les médias s’intéressent à la manifestation de piano majoritairement classique de La Roche D’Anthéron, ils ignorent cette petite ville pittoresque et préservée du Cantal, dont le château moyenâgeux sert de toile de fond à l’affiche. L’enfant du pays n’a, une fois de plus, pas ménagé ses efforts, ainsi qu’une armée de volontaires, que j’aimerais mieux coordonnés et communicants ; pourquoi ne pas faire appel à un service club, genre Rotary, pour gérer l’organisation ? De même, davantage de répétitions entre les participants occasionnels, au niveau artistique élevé, améliorerait leur connivence : ajouter un phrasé et des notes personnelles à un standard est, certes, créatif de la part de l’artiste, mais déroute la section rythmique ; faire jouer un big band aux arrangements colorés et innovants, sans chef attitré, sinon un tromboniste assis, devant, par la force des choses, se contorsionner, nuit à la cohésion de l’ensemble ; le jazz n’est pas qu’improvisations “à la bonne franquette”… Au programme de cette excellente 14e édition, compte tenu des nombreuses prestations libres dans les cafés.


Jeudi 9 août

 

Janie-Noële Héliès. Ah, que ne s’est-elle pas produite en solo ! Doigté et élégance de sa prestation peu directive.

Chase Garrett. LA révélation du festival ! Sorte d’extra-terrestre aux lourdes lunettes, ce petit Américain étroit de 23 ans, déjà organisateur de sa propre animation dans l’Iowa (!), pulvérise les adjectifs laudatifs : timing, technique et tension – détente. Il y a de l’Axel Z. dans son punch !

James Goodwin. Ou “Monsieur le professeur pré-war”. Cet adepte britannique un peu raide du style barrelhouse d’avant-guerre est parfait dans son rôle.

Chris Conz. Le Suisse qui “monte”. Swing classique et élégant.

Les duos de piano sont très réussis et réunissent artistes du jour et à venir, ainsi que des praticiens d’éditions précédentes (Big John Carter, Julian Phillips, Eeco Rijken Rapp, Tom Lewer…) venus célébrer la fête mondiale du boogie woogie. La petite formation jazzy de Christian Vaudecranne (sax soprano), Toot Vapeur, manque de cohésion ; J.P. Amouroux n’en est pas le leader ; dommage, lui qui a enregistré d’excellentes pièces orchestrales.

 


Stephanie Trick et Chris Conz

 

Vendredi 10 août

La Néo-Zélandaise-Australienne Jan Preston est de bon niveau mais la barre est placée tellement haut dans ce festival… L’intermède avec son mari au mini washboard est plaisant, sans plus.

3 For Swing. Ces trois spécialistes français sans batteur font revivre le swing Nat King Cole / Charles Brown, c’est frais et distingué, chanté avec un accent anglais correct.

Axel Zwingenberger. Dégageant une sorte d’animalité physique, LE maître allemand de référence démontre, une fois de plus, qu’il est le meilleur avec cette frappe profonde, rapide et insolente qui constitue son empreinte perso. Et on a beau (re)voir sur les deux écrans géants les gros plans de ses phalanges parfois repliées comme les marteaux de la table d’harmonie, leur agilité n’a d’égale que leur puissance.

Nous ne reviendrons pas sur le Boogie Big Band de J.P. Amouroux et les duos de la soirée.

 


Axel Zwingenberger

 

Samedi 11 août

Stephanie Trick. Récompensée, à juste titre, par le prix “Nouvel artiste” du Hot Club de France, remis en scène, cette jeune Américaine est déjà une étonnante spécialiste du ragtime / stride. Ovation.

Jo Bohnsack (Allemagne). C’est bourré d’erreurs mais comme il les assume avec panache ; à l’image de ses mentors Champion Jack Dupree / Little Willie Littlefield, il “déménage” le clavier, chante d’une gorge rauque et rythme du talon ; ça a de la gueule !

Allan Tate. Seul Africain-Américain du programme, ce New-Yorkais déçoit, surtout la voix faible et fausse – alors que ses longs doigts développent des mélodies harmonieuses, présentées comme gospelisantes (?). Par contre, en duo instrumental avec Jean-Baptiste Franc (p), son jeu qui sonnait un peu piano bar devient aérien. Comme quoi, avec un bon soutien complémentaire dans les graves…

La parfaite intégration du jeu de Memphis Slim par Jean-Paul Amouroux lui permet de restructurer les standards dans lesquels sa jeune chanteuse de blues (?) ; Nicolle Rochelle, peine à s’imposer, sinon par son physique mannequin, et dérape allègrement par manque de répétitions et de culture musicale – elle a dansé dans un spectacle dédié à Josephine Baker. L’orchestre joue la partition. Faut-il rappeler que dans “blues”, crédibilité et vérité vont de pair ? Apparition spontanée d’un des danseurs-acrobates des Crazyers, aux prestations spectaculaires, mais sa robe rouge moulante ne lui laisse que peu de liberté.

Des hôtels de la région ont également organisé des déjeuners boogie : nous avons assisté à l’excellente prestation swingante de Jean-Pierre Bertrand, rejoint par quelques amis musiciens dont Jean-Paul Amouroux.

 


Jean-Pierre Bertrand

 


Jean-Paul Amouroux, Jean-Pierre Bertrand, Chase Garrett

 

Enfin, le dimanche soir est toujours consacré au gospel US, dans l’église médiévale. Le public se presse aux deux représentations, bat des mains et se déhanche à l’invite des trois chanteuses noires qui, elles, savent s’exprimer. L’accompagnement minimaliste (piano, boîte à rythmes) reste en retrait, contrairement aux congrégations d’outre-Atlantique, où les instruments participent à la ferveur. Bien que peu au fait de la musique gospel – je n’ai été invité que quelques fois dans des églises américaines et vu des quartets au festival spécifique de Chicago – j’ai ressenti un profond décalage culturel, le même qu’il y a 40 ans et plus, quand, novices, nous écoutions “religieusement” la moindre note et remarque des bluesmen, eux-mêmes surpris, alors qu’ils étaient habitués à des clubs bruyants, aux consommateurs participatifs. L’artificialité de la présente rencontre m’a paru évidente, alors que, au sortir de certaines messes baptistes / pentecôtistes aux pasteurs flamboyants, l’Esprit Saint tentait diaboliquement de vous faire douter. Ici, c’est du sacré désacralisé. Bah, après tout, tous les chemins mènent à Rome ou à la Révélation. Et ensuite, vous rejoindrez les boogiemen en jams dans les cafés, de jour comme de nuit (certains jusqu’à 7 h 30 du mat !) : c’est ça aussi La Roquebrou !

Texte et photos André Hobus