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Live reports / 16.05.2009

12th DOHENY BLUES FESTIVAL


Kenny Neal et Elvin Bishop © E. Doidy

Orange County, c’est le coin de Nixon au Sud de Los Angeles. C’est aussi le temps d’un week-end, chaque année au mois de mai, une enclave du Pays du Blues. Sur le site à couper le souffle de Doheny State Beach, littéralement au bord du Pacifique, ce festival a quasiment tout pour plaire. Outre trois scènes de grande qualité (voir ci-après), un village animé, de multiples stands et un accueil au top (volontaires comme initiatives "écolo") lui confèrent une convivialité bien appréciable par les temps qui courent. Signe qui ne trompe pas, la plupart des artistes restent flâner dans les allées après leurs concerts.

16 mai

On commence avec un groupe qui m’était jusque-là inconnu, The 44’s avec notamment un excellent harmoniciste, Tex Nakamura qui avait auparavant officié au sein du groupe War. Du bon blues sans prétention qui met l’ambiance. Vient ensuite le Suédois Sven Zetterberg, sublime chanteur et guitariste instinctif et mordant, qui fait sensation avec son blues trempé dans la soul majestueuse. Mais en début d’après-midi, le choix s’avère plus difficile, entre à ma droite le légendaire guitariste Elvin Bishop invitant sur la grande scène l’harmoniciste-chanteur John Németh, et à ma gauche le duo Cedric Burnside & Lightnin’ Malcolm important sur l’intime Backporch Stage l’esprit fiévreux des Juke-Joint du Mississippi. Ce sera donc un peu des deux, au gré des morceaux, avec dans chaque cas des frissons sur les bras et des fourmis dans les jambes. Peu avant la sortie de leur premier album, la nouvelle mouture des Nightcats de Rick Estrin, avec l’incomparable guitariste Kid Andersen que ce sacré Rick a réussi à piquer à Charlie Musselwhite, donnent eux aussi dans le haut de gamme, versant swing mais down-home et bien râpeux, comme en atteste un numéro à la Sonny Boy du leader.


Rick Estrin © E. Doidy

La grande scène est ensuite investie par Keb’ Mo’, en formule électrique, avec un groupe compétent qui lui permet de donner un virage assez jazzy à sa musique – virage somme toute assez bienvenu pour ceux qui comme moi regrettent une formule un peu trop formatée sur disque. Pendant ce temps, l’éternel John Hammond, sur la petite scène, reste fidèle à l’acoustique et, sous les yeux enamourés de son épouse Marla, fait humblement et énergiquement revivre les illustres créateurs du blues. Du grand art vivement applaudi. Le soir commence à tomber lorsqu’une tornade s’abat sur la scène Renaissance avec Grace Potter & the Nocturnals : peu blues dans la lettre, mais indéniablement "roots", la belle pianiste révèle un tempérament explosif sur scène et délivre un set enthousiasmant, dans l’esprit des Lucinda Williams, Derek Trucks Band et consorts. Enfin, la nuit s’achève au rythme du bon vieux rockab’ de Brian Setzer & the Nashvillains. Un concert bouillonnant, incandescent, à l’image d’un Setzer sautillant et inventif dans ses phrasés. On en a pris plein les oreilles, mais ce n’est que le premier jour et une jam d’enfer s’annonce dans un club de la ville pour tenir jusqu’au petit matin.


Grace Potter & the Nocturnals © E. Doidy


Brian Setzer © E. Doidy

17 mai

Encore Keb’ Mo’, cette fois en solo sur la scène Backporch. Sans être fan de ses ballades, on se laisse prendre au jeu tant la voix de l’artiste est belle et son jeu de guitare exemplaire. On a beau être encore dans la matinée, la foule est déjà importante, preuve de la popularité de Keb’ Mo’ dans son pays. On change ensuite de scène pour poursuivre, dans un autre registre certes, avec Coco Montoya, habitué des festivals, assez soulful par moments. Mais les choses sérieuses commencent vraiment en début d’après-midi avec la Legendary R&B Revue. Aux côtés de Tommy Castro (qui dispose en Californie d’une solide base de fans) rien moins que le guitariste-harmoniciste Kenny Neal (revenu en pleine forme), l’impressionnant harmoniciste Magic Dick (ex-J. Geils Band) et la délicieuse chanteuse Janiva Magness. Est-il possible de rater un concert avec un tel casting ? Le résultat fut encore meilleur qu’attendu.


Keb' Mo' © E. Doidy


Magic Dick et Tommy Castro © E. Doidy

Avec le vénérable Phillip Walker, sur la scène Backporch, on se croirait réellement dans une taverne louisianaise des années 50… Physiquement, le septuagénaire fait certes son âge, mais quelle forme à la guitare, et quelle autorité dans la voix ! D’autant que le bluesman est accompagné des Hollywood Blue Flames du pianiste Fred Kaplan, avec Larry Taylor à la contrebasse et un certain Kirk Fletcher à la deuxième guitare, occasionnant des échanges absolument impériaux. Bonne idée que de programmer Ruthie Foster après eux, car il aurait été difficile à un groupe de blues de soutenir la comparaison. Le style plutôt folk de Foster et sa voix magnifique projettent donc sans peine leur magie, tandis que Walker s’en va tailler le bout de gras avec Buckwheat Zydeco et ses musiciens, dont le guitariste Lil’ Buck Sinegal. Le set de Buckwheat, sur la lancée de son dernier album pour Alligator, est un autre grand moment malgré la récente opération du leader à la gorge. Arborant une imposante cicatrice, Buckwheat alias Stanley Dural s’est principalement réservé pour l’orgue, confiant le chant à un invité très spécial, Nathan Williams autre grand nom du zydeco (Nathan & the Zydeco Cha-Cha’s). Mais Buckwheat, emporté par le bon temps, a tout de même fini par braver l’interdit des médecins… C’était la grande fête sur le Pacifique.


Larry Taylor © E. Doidy


Phillip Walker et Kirk Fletcher © E. Doidy

Le Derek Trucks Band prend possession de la grande scène en plein après-midi et les notes distillées, aux nuances tantôt jazzy, tantôt indiennes, tantôt gospel, donnent au festival une nouvelle dimension, teintée de spiritualité. Les musiciens ont du savoir-faire et Derek, guitariste de goût, a l’art d’imposer sa patte sans jamais multiplier inutilement les solos. Esprit "Jam-band" oblige, quelques invités se succèdent, dont Elvin Bishop – retour remarqué et impeccable. Après le set, Derek a lancé une invitation à Elvin pour qu’il vienne enregistrer un album avec lui dans son studio de Jacksonville en Floride. J’espère que le bon Dieu a entendu cette conversation. Mais j’ai des doutes, car il était peut-être en train d’écouter Sharon Jones & the Dap Kings qui, au même moment, brûlaient les planches (le mot n’est pas exagéré) de la scène Renaissance, devant un public remuant, acquis à la cause de la soul funky et subjugué par l’abattage de l’artiste. Sur la plage de Doheny, le soleil n’est pas seul responsable de la chaleur ambiante !


Elvin Bishop et Derek Trucks © E. Doidy


Sharon Jones & the Dap-Kings © E. Doidy

Pour terminer comme il se doit ce week-end au Paradis, nul autre que B.B. King. Le roi et son orchestre, sur fond de soleil couchant, font résonner le blues des origines jusqu’à la ligne d’horizon, loin au large du Pacifique. B.B. parle plus encore au public qu’en Europe, mais ici le public répond, participe, et ces échanges s’avèrent bien plaisants. On quitte Lucille sous les étoiles, avec pour seul petit regret l’absence de jam avec des artistes invités. Un festival à inscrire comme incontournable sur la route du blues !
E. Doidy
(Lex – thank you for your invaluable help and joyful enthusiasm.)


B.B. King © E. Doidy