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Brèves / 16.04.2018

Deborah Coleman, 1956-2018

C’est avec stupeur et une grande tristesse que nous avons appris le décès de Deborah Coleman, qui aura marqué de son empreinte la scène blues rock du milieu des années 1990 au milieu des années 2000.

Deborah Coleman naît en Virginie en 1956. Son père, un marine, joue du piano en amateur et la musique est très présente dans sa famille. Deborah apprend la guitare à partir de ses huit ans, se recentre sur la basse pour revenir exclusivement à la six-cordes après avoir découvert Jimi Hendrix et autres Cream. Marquée par le rock de sa génération, elle tombe en amour avec le blues un soir de ses dix-neuf ans, en assistant à un festival dont l'affiche réunit John Lee Hooker, Muddy Waters et Howlin' Wolf ! Elle se produit au sein de divers groupes, mais s'arrête à vingt-cinq ans pour se marier et se consacrer à sa fille qui vient alors de naître. Tour-à-tour infirmière ou électricienne, elle se démène pour faire vivre sa famille tout en gardant un pied dans la musique (entre 1985 et 1990, elle retente l’expérience, d’abord dans un groupe de rock féminin, puis dans un groupe de blues). Le monde de la guitare est alors dominé par les hommes et il n’est pas facile pour une femme de s’y faire une place ou de trouver des modèles sur lesquelles s’appuyer : « J’ai appris des femmes comment chanter, mais c’est des hommes que j’ai appris la guitare », me dira-t-elle dans une interview. Mais l’énorme succès populaire recueilli par Bonnie Raitt (l’album “Nick Of Time”) ouvre au début des années 1990 de nouvelles perspectives à une génération entière de femmes guitaristes, dont Deborah fait partie. « Il a fallu qu’on fasse nos preuves. Une fois qu’on a su montrer de quoi on était capables, là, OK, tout le monde a été là pour nous épauler. Mais c’est très difficile au début. »

 


Salaise, 1999 © Brigitte Charvolin

 

Sur la lancée d’un concours amateur, sa carrière discographique commence en 1994 avec un premier album fort prometteur, publié sur un petit label de Caroline du nord, New Moon Records (“Takin’ A Stand”). Deborah est vite signée par Blind Pig Records, un label de San Francisco parmi les plus actifs du blues indépendant des années 1990. Blind Pig lui fait enregistrer une belle série d’albums, à Chicago avec les guitaristes Joanna Connor ou James Solberg en renfort (“I Can’t Lose” en 1997 et “Where Blue Begins” en 1998), aux studios Ardent de Memphis sous la houlette du producteur Jim Gaines (“Soft Place To Fall” en 2000 et “Livin’ On Love” en 2001) ou encore sur la route en Californie (le live “Soul Be It!” en 2002). Ces disques permettent à Deborah de développer un style qui, bien qu’il s’inscrive tout à fait dans le son blues-rock de ces années-là, se distingue par des compositions fines et sensibles (comme My heart bleeds blue ou Soft place to fall), par le naturel avec lequel elle fusionne ses influences rock à sa culture blues et jazz (voir en particulier sa version de Fine and mellow de Billie Holiday), ainsi que par une touche funky dans son jeu de guitare qui n’est pas sans évoquer l’héritage d’Albert Collins. Enthousiaste et chaleureuse sur scène comme en-dehors, Deborah Coleman s’affirme alors, au sein de la génération des musiciens de blues qui émerge dans ces années-là, comme l’une des représentantes des favorites du public des festivals comme des clubs – y compris en France où le label Dixiefrog reprend certains de ces disques.

 


Salaise, 1999 © Brigitte Charvolin

 

La suite est, hélas, plus inégale. Deborah enregistre aux côtés de l’harmoniciste Charlie Sayles lors d’une session produite par Bobby Parker (“Hip Guy”, JSP, 2000) et participe à un album du vieux pianiste malicieux Pinetop Perkins qu’elle admire (“Ladies Man” sur MC Records en 2004). Elle est recrutée par Telarc, qui cherche alors à asseoir sa réputation comme label de blues. L’album très personnel et réussi “What About Love” en 2004 voisine alors avec une anecdotique participation à un album-hommage aux Rolling Stones, “Exile On Blues Street”. C’est elle-même qui produit en 2007 ce qui allait rester son dernier album sous son nom, “Stop The Game” (au titre révélateur ?), beaucoup plus rageur que le précédent mais aussi bien moins inspiré, publié par le label anglais JSP. Deborah marque ensuite de sa présence deux parutions de Ruf Records, “Time Bomb” en 2007 avec les canadiennes Sue Foley et Roxanne Potvin (un album de blues-rock de plus qui peut générer une certaine déception au regard des talents des protagonistes) et le live festif “Blues Caravan: Guitars and Feathers” en 2008 avec l’extravagante Candye Kane et la jeune guitariste anglaise Dani Wilde. Il est fort dommage que ce début d’association avec Ruf Records, qui s’est pourtant fait une spécialité d’enregistrer des guitaristes féminines de blues-rock, n’ait pas permis la réalisation d’un album entier sous son nom… Toujours est-il qu’à l’annonce de son décès, on n’avait pas entendu Deborah Coleman sur disque depuis dix ans.

 


Avignon, 2009 © Brigitte Charvolin

 

C’est des suites d’une bronchite et d’une pneumonie qu’est décédée à l’âge précoce de 61 ans Deborah Coleman. Rappelons qu’au fil des décennies, de nombreux musiciens de blues ont payé de leur vie l’organisation du système de soins américain, particulièrement inégalitaire malgré les efforts de l’administration Obama. Sachons quant à nous défendre notre modèle de santé et de sécurité sociale.

Éric Doidy