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Brèves / 11.11.2015

Allen Toussaint (1938-2015)

Allen Toussaint s’en est allé. Dans la nuit madrilène, à la suite d'une dernière Monday night, l’un des plus grands compositeurs du XXe siècle, chantre de la musique de La Nouvelle-Orléans, a pris la tangente sans prévenir. Sur les dernières photos, dans les dernières vidéos, l’homme continuait à porter beau ses soixante-dix-sept printemps. Un mélange de vieux Sud et de so british créolisé qui rappelait une arrivée surréaliste sur la cendrée du Fair Ground de New Orleans, une après-midi de JazzFest 1990, avant un concert des Neville Brothers. Au volant de sa Rolls, tiré à quatre épingles, Allen en imposait naturellement. Le sourire et la pose étaient de mise, sans ostentation ni cliquetis superfétatoire.

 


© DR

 


New Orleans, 30 avril 1990 © Stéphane Colin

 

Une discrétion sûre d’elle-même. Longtemps, le pianiste compositeur avait laissé à d’autres la parole de devant. À l’instar de son vieil ami Dr. John, pour qui un chanteur c’était quelqu’un comme Johnny Adams, l’homme mettra du temps avant de tracer sa voix dans les années 70. Jusque-là, Aaron et Art Neville, Irma Thomas, Betty Harris, Ernie K Doe, Benny Spellman et bien sûr Lee Dorsey tenaient le devant de la scène pendant que lui égrenait les notes du clavier façon chaloupe cubaine, entre java (1) et Professor Longhair. Derrière, les Meters veillaient ; on pouvait rêver pire comme backing band… Plus proche du whisper que du scream (2), le doux filet vocal suivra le sillon de ces albums des années 70. Southern night (3) et son drôle d’effet d’aquarium psychédélique pour pointer le temps. On réécoutera cette litanie étrange au fil des décennies pour mieux la confronter à cette épure terminale issue du “Songbook” de 2013 (4) où Toussaint seul au piano dans un club new-yorkais illustre tout autant le chemin jalonné d’une myriade de hits que le poids des ans bien digéré.

 


Allen Toussaint, Ernie K-Doe, Chuck Carbo, New Orleans, 1991 © Stéphane Colin

 


Juan-les-Pins, 2009 © Alain Jacquet

 

Il y a quelques jours, une reprise de Lady Madonna (5), interprétée par Allen, tournait sur la platine ; toujours le décalage du chant, toujours le so british créole précieux et distancié… On pensait aux visiteurs d’outre-Atlantique du Sea Saint Studios d’Allen Toussaint et de Marshall Sehorn. Des Wings de Paul et Linda McCartney à John Mayall ou Frankie Miller en passant par le fidèle ami Elvis Costello qui reviendra enregistrer dans l’immédiat Katrina un imparable “River In Reverse” (Verve, 2006), les sujets de la gracieuse majesté n’ont jamais trouvé à redire quant au traitement du producteur maison. Ni les autres d’ailleurs… Dr. John et les Meters, Papa Grows funk, James Andrews, Earl et Albert King, Etta James, Willy DeVille, LaBelle, Chocolate Milk et bien d’autres, nombreux sont ceux qui ont payé leur dû au maître de céans. Entre Lady Madonna et Lady Marmalade, un tournemain commun pour un dernier clin d’œil de l’artiste. Wrong number (I’m sorry, goodbye) (6), Aaron n’aurait pas mieux dit… Tousan for ever.

Stéphane Colin

 

1. Java issu du premier album (instrumental) d'Allen Toussaint : “The Wild Sound of New Orleans by Tousan” (RCA, 1958)
2. “Toussaint” (Scepter, 1970)
3. “Southern Night” (Reprise, 1975)
4. “Songbook” (Rounder, 2013)
5. “The Art of McCartney” (Kobalt, 2014)
6. 45-tours Minit de 1962 chanté par Aaron Neville sur une idée de Naomi Neville alias Allen Toussaint. 

 


New Orleans, 2012 © Alain Jacquet